Le rapport du militaire occidental contemporain à la vulnérabilité évolue et ouvre de nouvelles pistes que l'auteur explore pour nous proposer une approche rénovée de cette notion qui reste au cœur de l'équilibre souhaitable entre technicité et humanité qui caractérise le militaire au combat aujourd'hui.
La vulnérabilité du soldat moderne
The modern soldier’s vulnerability/weakness
The report by contemporary Western military on vulnerability evolves and opens new avenues that the author explores in order to propose to us a renewed approach to this notion that rests at the heart of the desirable balance between technology and humanity that characterizes the military in combat today.
Achille est une des figures les plus emblématiques du combattant. Héros rendu quasiment invincible, il conserve une part de vulnérabilité qui, en définitive, provoquera sa perte *. Il incarne les contradictions que le soldat doit depuis toujours surmonter dans son rapport à la force et à la violence. Doté de moyens de contrainte, disposant du pouvoir exorbitant de donner légalement la mort, il n’est pour autant jamais invulnérable.
Qu’elle soit physique, psychique ou morale, dans tous les cas la vulnérabilité renvoie à la finitude et la fragilité de l’existence humaine. Pour le militaire, la vulnérabilité est confondue avec la faiblesse et doit être dominée. Au demeurant, la question de la vulnérabilité du soldat ne se pose plus aujourd’hui dans les mêmes termes que par le passé, car les progrès de la protection du combattant et de la médecine de guerre ont permis de limiter considérablement la vulnérabilité physique. Le taux de survie des soldats américains blessés est de 33 % pendant la Seconde Guerre mondiale, 50 % pendant celle du Vietnam, 90 % aujourd’hui (1). En revanche, le militaire occidental moderne porte en lui une fragilité inédite, liée au rapport que la société entretient avec la mort. Au XXIe siècle, le courage du soldat demeure une vertu toujours requise. Mais l’angoisse collective de la société face à la mort pèse sur l’engagement du combattant, inhibe l’action militaire et peut éventuellement mettre les soldats en danger.
Pour que le militaire soit fort, il doit être protégé, mais aussi convaincu. Or il semble qu’une vulnérabilité cachée, mais forte réside aujourd’hui dans la faiblesse du sens, c’est-à-dire la difficulté de répondre clairement à la question « pour qui meurt-on ? » (2). Le militaire doit surmonter cette difficulté pour ne pas devenir un mercenaire. Dès lors, comment faire pour maintenir la cohésion de l’institution militaire ? Faut-il encore chercher à réduire toute forme de vulnérabilité pour rendre le soldat invincible ? Le propos de la réflexion qui suit consiste à montrer que toute vulnérabilité n’est pas mauvaise en soi pour le militaire. Elle est même pour lui un gage d’humanité. En effet, être conscient de sa fragilité peut constituer un garde-fou contre la tentation d’invincibilité qui risque de faire oublier que la responsabilité du militaire est aussi de protéger les plus vulnérables de ses semblables contre la folie meurtrière. En définitive, la vulnérabilité est salutaire pour le militaire, parce que le soldat aura toujours besoin d’être suffisamment fort pour combattre, mais il devra accepter d’être suffisamment faible pour comprendre les limites du combat. Ainsi, si la notion de vulnérabilité est globalement mal vécue par les militaires, il serait d’autant plus hasardeux de s’en affranchir qu’elle peut s’inscrire de façon cohérente dans l’idéal du soldat.
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