N’oublions pas les Douze dialogues sur la défense. Nous nous en repaîtrons posément comme on fait par ailleurs du Neveu de Rameau. N’oublions pas Xavier Sallantin. Il vivait à Béna sachant de là-haut servir les autres et parfaire son salut. Mais coupons court ! Il n’y a pas beaucoup de militaires qui cherchent à toute force le secret de l’univers. N’oublions donc pas non plus ce que Sallantin appela Ma quête insensée du sens. Xavier était un physicien dans l’âme, de la race qui cherche à diagnostiquer Dieu dans les choses et pour cela épuise leur contenu. Ce que je projette ici n’est pas, une fois de plus, l’article de son deuil : celui-là a été excellemment écrit. Ce que nous allons faire n’est plus qu’une promenade dans les bois des muses éloquentes.

Base épistémologique naturelle

Il avait trouvé pertinent de se retirer avec femme et enfants dans un havre de grâce pendant l’été de 1970 : à Béna, hameau aux trois-quarts abandonné dans une montagne de Cerdagne. Ayant connu ce lieu, ce fut celui qu’il choisit quand il eut besoin d’un Mont Parnasse pour ses chercheurs, quelques années plus tard. Finalement il s’y établit pour de bon et il y passa le reste de sa vie. Son penchant visionnaire lui fit dire que Béna était prédestiné, le nom du site se trouvant être l’abrégé de Base épistémologique naturelle.

Comment l’a-t-il rebâti ? Je l’appris quand il s’occupa de l’un de mes fils que nous essayions, Jean Compagnon et moi, de faire échapper au service militaire rigoureux auquel le vouait son dossier d’étudiant agité de mai 1968. Sallantin recueillait des agrégés qui avaient à faire leur service. Lucien Poirier et Georges Buis avaient approuvé son idée de faire discuter par des esprits alertes le point de vue que la dissuasion nucléaire soit capable de censurer la guerre ; ainsi une poignée de jeunes philosophes, historiens, mathématiciens, biologistes et physiciens choisis faisaient leur service militaire à la cellule de praxéologie militaire de la caserne de Lourcine à condition d’y réfléchir tous ensemble. Mais frivole ou sérieux, Paris les dissipait… (même lorsqu’on a les attitudes de ce que l’on est, on réussit mal à dégager sa pensée de ce qui l’encombre !). De là surgit l’idée de Sallantin d’obliger ces jeunes gens à des week-ends ensemble loin de Paris. L’objectif de rebâtir un hameau pouvait d’ailleurs être très bien accepté par eux en 1971-1972.