Une analyse fine est présentée de la construction du récit militaire de l’opération Serval à partir d’images tournées sur le terrain par des cinéastes militaires. L’émission qui les a diffusées est passée au crible et révèle une certaine intimité des images qui permet une initiation par une présentation au naturel des combats.
Quand l’armée filme sa guerre, quand la télévision diffuse les images
When the arm films its war, when the television broadcasts images
A detailed analysis is presented for the construction of a military narrative of Operation: Serval from field visits by military filmmakers’ images. The program that has aired is screened and reveals a certain intimacy in the images that allow an introduction to the presentation of natural fighting.
Le 17 octobre 2013, l’émission Envoyé spécial, sur France 2, a diffusé un reportage intitulé « Serval, quand l’armée filme sa guerre », produit par la société Kuiv. Ce documentaire a été entièrement construit grâce aux images filmées par les opérateurs de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) présentes sur le terrain dès les débuts de l’opération. Elles ont été mises à disposition d’un journaliste, Martin Blanchard, et d’un historien et spécialiste des conflits, Jean-Christophe Notin. L’objet de cette réflexion n’est pas de raconter et d’étudier les conditions de fabrication de ce documentaire, mais d’analyser le résultat final pour s’interroger sur ce que voit et entend le téléspectateur. Il y a en effet matière à question sur ce que la nature de ce documentaire change dans la perception que le public peut avoir d’une opération militaire extérieure. Est-ce un film plus « vrai » ou qui, au contraire, dissimule une part de la vérité en raison de l’origine exclusivement militaire des images qui le composent ? Montre-t-il mieux et davantage la réalité de la guerre qu’un film journalistique ? Ici, une précision doit d’emblée être faite : il n’existe pas d’image qui soit le reflet exact et réel de la guerre. Toute image est le fruit d’un choix et d’un parti pris dès le moment même de sa captation sur le terrain : l’opérateur a choisi telle scène plutôt que telle autre, il a cadré et éliminé du champ des éléments contextuels. Il a, donc, discriminé sciemment, en fonction des circonstances, de ses exigences propres et des exigences de son donneur d’ordre, quel qu’il soit. Le montage et la réalisation du documentaire viennent ajouter une dose supplémentaire de choix et de parti pris.
Des images de l’intérieur
Le téléspectateur est prévenu dès le début de l’émission : les images qu’il va voir viennent de l’ECPAD. Voici les mots de la présentatrice : « Pour la première fois, l’armée française a décidé d’ouvrir ses archives. Des soldats ont filmé toutes les opérations sur le terrain. Avec un historien de la guerre, Jean-Christophe Notin, et un journaliste, Martin Blanchard, nous avons donc sélectionné ces images, nous les avons commentées et décryptées. Vous allez donc voir un document rare, la guerre au quotidien ». Quelques secondes après le début du reportage, la voix off rappelle que le public n’a guère pu voir d’images de Serval, « au point qu’on a pu parler d’une guerre sans images. Des images existent pourtant, mais beaucoup n’ont jamais été dévoilées ». Tout est fait pour expliquer au téléspectateur qu’il va voir des images particulières.
Premier signe, pour le téléspectateur, que ces images viennent de l’intérieur : les hommes filmés oublient la caméra. La différence est visible par rapport aux images d’opérations habituellement filmées par des journalistes. Les opérateurs de l’ECPAD sont des militaires que les combattants n’ont pas besoin de protéger et de soigner particulièrement. Lors des accrochages et scènes de combat, la caméra est au milieu des hommes, au ras du sol, dans la position d’un soldat parmi d’autres, et non en retrait comme l’imposent les nécessaires précautions prises lorsque des journalistes accompagnent une unité. C’est aussi tout le comportement des hommes filmés qui est révélateur. Les échanges entre militaires sont captés sans aucune mesure particulière de précaution ; les hommes le savent : ce qui est filmé et enregistré ne sera pas diffusé si les images contiennent une information qui pourrait leur faire courir le moindre risque opérationnel à court ou moyen terme. Ce qui vaut pour ces scènes de combat vaut aussi pour les moments de la vie quotidienne (bivouacs, repos, entretien du matériel) lors desquelles aucune présence étrangère ne semble venir troubler les habitudes des soldats. Si la caméra, même tenue par un opérateur de l’ECPAD, a toujours besoin de se faire oublier, le processus se fait ici plus facilement.
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