Editorial
Éditorial
Dans La guerre navale (1), Hubert Moineville détaille les raisons de transporter en mer l’activité militaire que les hommes conduisent pour protéger des territoires, s’approprier des richesses ou vider leurs querelles nationales, religieuses ou idéologiques.
Or les frontières géopolitiques s’effacent aujourd’hui devant la mondialisation, les territoires socio-économiques s’interpénètrent, les sociétés deviennent interdépendantes et les centres de pouvoir indifférenciés voire nomades. Les nationalités se démultiplient, les citoyennetés se diversifient et les responsabilités collectives s’estompent. Des identités s’affaissent dans l’atonie démographique, d’autres se réveillent et se rebiffent. La redistribution stratégique se fait plus dans la brutalité des passions, des contrariétés et des frustrations que dans la coopération mondiale. Le système du monde est en mutation, dans une crise de croissance, sans doute pour longtemps, où certains voient la guerre, éternellement entretenue.
Et nos appareils de sécurité et de défense, fondés sur des contrats sociaux et politiques éprouvés qui relient territoires et peuples à une histoire nationale, ordonnés par des structures expérimentées, en souffrent : leurs moyens se relativisent, leurs missions se compliquent. Car ceux qui maîtrisent cette mutation, l’administrent ou bien en profitent ; ils se placent soit au-dessus des États avec des formules impériales ou oligarchiques, soit en dessous, avec des prédations transversales de caractère mafieux ou criminel. Faut-il se rallier aux premiers pour combattre les seconds ? S’enrôler ou chercher d’autres équilibres sécuritaires, notamment régionaux ? Il en résulte une nouvelle fois pour la France des exigences, des risques, des vulnérabilités à prendre en compte et un rôle militaire à jouer.
C’est dans deux catégories distinctes que les forces armées françaises interviennent, soit pour protéger les divers territoires de nos intérêts et valoriser nos atouts nationaux, soit pour participer à la gouvernance du développement sécurisé de la planète. La transformation du monde qui s’opère depuis la guerre froide partage notre appareil militaire entre ces deux nécessités sécuritaires. Et chacune des composantes des forces armées doit assumer à sa façon cette double finalité. Chacune en vit la problématique selon le terrain d’opération qui lui échoit, en privilégiant si possible une action intégrée, aéroterrestre ou aéronavale. L’action navale dont la Marine nationale a la charge principale se déroule au large, loin des yeux de la société civile et des élus du pays, loin des intérêts immédiats de la nation, au-delà de l’horizon. Elle s’exerce aux avant-postes des vulnérabilités françaises, pour consolider une fluidité économique et une coopération stratégique qui conditionnent notre prospérité et notre liberté d’action. Elle se développe aussi à proximité de nos côtes pour procurer la sécurité que l’État doit aux activités maritimes et garantir la protection de nos approches « méritoriales ».
Cette action navale mal connue requiert polyvalence et vigilance, permanence et patience, les exigences militaires des marins, comme une seconde nature. ♦
(1) Ou Réflexions sur les affrontements navals et leur avenir ; Éditions Puf, 1982.