Editorial
Éditorial
La conflictualité du monde résulte de l'interaction entre des intérêts, des valeurs et des responsabilités, on l'a dit. La mondialisation résulte de la mise en partage, censée répondre à des besoins communs, des ressources et des capacités de la planète. La première conduit à des crises et des conflits de tous contre tous ; la seconde invite à une coopération de tous au bénéfice de tous. Entre ces deux réalités, des biais et des manœuvres, nœuds de la précarité stratégique actuelle. Et l'apparition d'une guerre larvée de quelques-uns pour le contrôle de tous, avec pour cibles les opinions publiques qui font les légitimités politiques et mettent en mouvement les États. Les conflits internes en Tunisie, Libye, Mali, Syrie, Ukraine l'ont amplement illustré.
Plus sophistiquée que la ruse militaire, la guerre informationnelle s'est ainsi installée comme prélude, substitut ou dopant des classiques affrontements idéologiques, économiques et militaires. La manœuvre médiatique, l'action psychologique, la manipulation du récit politico-militaire sont devenus des opérations de portée stratégique que la révolution numérique permet de démultiplier, de la propagande à la déception, de l'influence à la prédation, du sabotage ciblé à l'agression préventive. La guerre s'est infiltrée massivement dans le canal électronique, reléguant, sans toutefois le négliger, l'affrontement militaire direct dans des conflits rustiques où la violence physique exige l'élimination brutale, le sacrifice rituel ou demeure l'ultima ratio du combat. À l'heure du déguisement et de la démultiplication de la puissance que permettent la numérisation et la financiarisation du monde, la liberté de manœuvre stratégique passe par la meilleure maîtrise possible des outils de l'information. Mais au-delà des questions techniques que posent les armes informationnelles, derrière 1'« opératique » nécessaire à la coordination des cybercombats et des batailles de l'influence, reste la question centrale des finalités politico-stratégiques.
Or curieusement, bien que le plus ancien État-nation d'Europe, la France n'a pas, comme d'autres, un code génétique suffisamment bien établi pour orienter la boussole stratégique des différents acteurs de ses combats informationnels. Ses buts de guerre, sa ligne de conduite stratégique, et donc ses engagements militaires, sont souvent d'abord ceux que lui dicte une certaine vision légaliste du monde, avant ceux qu'exigent ses intérêts nationaux de sécurité. Alors, puisque la défense et l'autorité du pays passent par la pertinence de ses engagements politico-stratégiques, les militaires doivent conserver toute leur place dans l'appréciation de ceux-ci. Que seraient l'analyse stratégique et la diplomatie de défense et de sécurité sans la mobilisation permanente et au plus haut niveau des militaires ? Il faut valoriser et promouvoir la recherche militaire qu'exigent les circonstances. C'est ce que s'attache à faire la RDN qui fête ses 75 ans au service du débat stratégique. Au moment où se développe la chaire des « grands enjeux stratégiques contemporains » de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dont la RDN publiera les travaux dans le numéro de juin, cette exigence de participation active des militaires aux questions qui les concernent au premier chef est plus que jamais cruciale.