Editorial
Éditorial
L'embardée ukrainienne amorce-t-elle un changement de cap pour les relations internationales ? Annonce-t-elle le retour de tensions militaires proches ? Certains le redoutent, enfermés dans la perspective coopérative d'une mondialisation heureuse ; d'autres l'espèrent secrètement, nostalgiques de l'ordre simplifié de la guerre froide et de ses avantages idéologiques et militaro-industriels. Tous s'inquiètent de l'inconsistance stratégique et de la modicité militaire de l'Europe. Tous aussi semblent négliger des continuités essentielles car porteuses de régulations et de canaux d'intérêts communs.
Mais pour aborder avec sang-froid ce coup de tabac au cœur de l'Europe orientale, encore faut-il savoir regarder notre continent pour ce qu'il est, un cœur de civilisation et un centre de gravité stratégique et non la périphérie orientale d'un Occident incertain. En cette période de rendez-vous électoral, on regrette un manque de centralité européenne, socio-économique, ethno-religieuse, industrielle et politique. Le modèle européen de puissance, ballotté, incapable d'affirmer la valeur de sa norme globale se laisse enrôler bien facilement dans des dynamiques externes qui le mettent au défi, à l'Ouest avec un lien transatlantique exigeant, au Sud avec un voisinage méditerranéen instable et à l'Est avec un monde slave rugueux ouvert sur l'Eurasie. Au centre, reste une Europe qui hésite à devenir européenne.
Comment aujourd'hui éviter d'installer de nouvelles lignes de division autour de l'Europe occidentale, de les militariser et d'investir de fortes sommes dans des murs anachroniques, voire de vrais rideaux de fer pour se protéger de l'effervescence d'une planète qui poursuit sa croissance et sort du système qui fonctionnait tant bien que mal depuis 1945 ? En tirant enfin parti de l'excellente position stratégique d'un noyau européen dont le cœur est franco-allemand et la périphérie dessinée par la géographie physique et humaine, de l'Atlantique à l'Oural et du Cap Nord au Sahel. Mais l'Union actuelle peut-elle y pourvoir ? La continuité territoriale est une réalité stratégique autant porteuse de coopération fructueuse que de tensions meurtrières, les Européens à la longue histoire l'ont souvent expérimenté. Le XXIe siècle stratégique n'est pas d'abord le prolongement du XIXe nationaliste et conflictuel ; il est le siècle de la mondialisation et de ses effets prometteurs qui relient mieux que jamais producteurs et consommateurs et crée solidarité, subsidiarité et surtout interdépendances ; les peuples l'exigent. Et la maritimisation qui la ventile, comme l'oxygène les poumons, met le vaste système européen au cœur des marchés du monde. Les atouts européens sont ces continuités positives, à promouvoir et protéger, de la géopolitique et de la géoéconomie.
Telles sont vues d'un stratégiste qui tire sa révérence les pistes à explorer pour éviter l'enlisement dans lequel nous risquons d'épuiser les ressources comptées que le pays peut consacrer à sa sécurité et à sa survie comme acteur stratégique indépendant, faiseur d'histoire et non défenseur appliqué d'un ordre qui fut efficace mais qui se périme rapidement. La « Chaire des grands enjeux stratégiques contemporains » offre ici de remarquables éclairages sur les contrastes d'une scène stratégique bien tumultueuse en ce mois de juin qui justifie ce numéro conséquent dans la lignée du 75e anniversaire de la RDN.