En dépit d'une unité théorique de langue et de religion, le Printemps arabe a vu une recomposition des relations régionales, notamment avec le Maghreb. Complexité des politiques menées par l'Arabie saoudite et le Qatar, complexité des clivages entre Sunnites et Chiites, complexité des régimes tiraillés entre conservateurs et modernistes. Les relations entre les divers pôles du monde arabe n'ont pas fini d'évoluer.
Maghreb, Levant et Golfe: des recompositions à l'œuvre
The Maghreb, the Levant and the Gulf: Coming Changes
Despite common language and religion, which in theory ought to be uniting factors, the Arab Spring led to rearrangements in regional relations, notably with the Maghreb. Complexity is the keyword: in the policies followed by Saudi Arabia and Qatar, in the schisms between Sunnis and Shi'ites, and in the regimes torn between conservatism and modernism. Developments in relationships between the many different parts of the Arab world are far from complete.
Vu du Maghreb, le Levant est une région à l’instabilité chronique dont les fondements sont multiples. Tout d’abord, les clivages intercommunautaires et intracommunautaires (un schéma sociopolitique hétérogène fort différent de celui prévalant au Maghreb qui se caractérise par un haut degré d’homogénéité). Ensuite, l’occupation de territoires arabes par Israël. Enfin, la problématique de l’État-nation issu du découpage colonial qui n’a pas donné lieu partout à une stabilisation des entités nouvellement créées en raison de la sous-estimation de l’imbrication historique des territoires du bilad al-Cham.
La relation entre les deux ailes géopolitiques du monde arabe, Maghreb (le Couchant) et Machrek (le Levant – au sens arabe du terme), a toujours été dense. Mais c’est bien avec la partie levantine (proche-orientale), dans son acception française, que le processus relationnel historique est le plus intense. Le Levant a toujours été un intermédiaire entre les deux extrémités du monde arabe, Maghreb et Golfe, et le partenaire arabe le plus proche du Maghreb, en raison de la centralité de la question palestinienne, du poids de la Syrie (et de l’Égypte) sur la scène régionale, de la transversalité du champ culturel… Mais les recompositions interarabes des dernières années, que les événements du Printemps arabe semblent renforcer, ont eu pour conséquence, sur la scène arabe, la marginalisation du Levant au profit du Golfe.
Bien avant le Printemps arabe, le Levant était déjà déclassé dans les interactions Maghreb-Machrek par la montée en puissance des pays du Golfe, aussi bien au niveau financier, politique (influence) que médiatique. Aussi, une périphérie (Golfe) est devenue le centre, grâce à l’influence politique et économique. Quant au centre, il s’est mué en périphérie à cause de ses déchirements infraétatiques et interétatiques amplifiés par la pénétration dont il fait l’objet de la part des pays du Golfe. À ce niveau, on peut dire qu’au plan sociétal, l’influence golfique est plus dérangeante pour le Levant que la politique israélienne. Mais ce déclassement du Levant est de mauvais augure pour le Maghreb où le salafisme, conservateur et financier, venu de l’Est, est perçu comme une source d’instabilité politique et sociétale. Les politiques des monarchies du Golfe vis-à-vis du Printemps arabe suscitent des interrogations compte tenu du double standard : soutien de l’opposition en Syrie et soutien du régime militaire en Égypte. Le Maghreb, bien que plus stable que le Levant, pourrait lui aussi devenir le théâtre de cette stratégie d’influence des monarchies usant de leur soft power après avoir garanti leur propre sécurité grâce au hard power américain.
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