Billet - Les godillots de Dieu
Au début de cette année, la rue musulmane s’est enflammée en Tunisie, Égypte, Libye et quelques autres lieux. Bête comme toute rue, son inflammation n’en est pas moins porteuse d’un immense espoir. Voici pour les musulmans l’heure de vérité. Aucun régime, en pays d’islam, ne s’approche de la démocratie. Il n’en existe que de deux types, le despotisme éclairé et le despotisme islamique. Cette malédiction peut-elle être surmontée et l’islam peut-il, en un aggiornamento prodigieux, rejoindre le courant des Lumières que nous avons nous-mêmes lancé il y a quelques siècles ? Immense espoir, immense péril en même temps. De quel côté va pencher la balance, vers un islam douteur à notre image ou vers la perpétuation du même, conforté dans ses certitudes sclérosantes ? La nature du pouvoir en islam est au cœur du débat. C’est, bien sûr, dans les États de pure orthodoxie qu’il faut l’observer, dont l’Arabie Saoudite et l’Iran fournissent les modèles.
Au premier abord, l’affaire est simple. Le caractère légaliste de la révélation reçue par le Prophète, l’exemple de son comportement en son parcours terrestre, l’exubérance d’une religion à laquelle rien n’échappe, semblent disposer l’islam à l’exercice du pouvoir. Il n’en est rien. Quel qu’il soit, le pouvoir a deux composantes, le législatif et l’exécutif. Dans nos démocraties, le législatif légifère — c’est-à-dire décide — et l’exécutif… exécute. Il en va de même en islam, à ceci près que le législateur n’est autre que Dieu lui-même. La différence est de taille. Si les excès de notre parlementarisme ont amené ses détracteurs à ne voir dans le parti majoritaire que les « godillots » du pouvoir présidentiel, les dirigeants des pays musulmans ne sont que godillots de Dieu. On mesure leur inconfort que l’histoire de l’Islam illustre, et qu’aggrave, dans une religion sans prêtres, le droit qu’a chaque croyant de se faire juge de la légitimité du prince. Il y a là un redoutable ferment révolutionnaire dont les islamistes jouent à merveille sans voir qu’eux-mêmes, s’ils venaient au pouvoir, n’échapperaient pas à la contestation des bigots. Plus encore qu’en démocratie, le confort en islam est dans l’opposition. Ceux qui sont aux affaires sont condamnés à l’autoritarisme. Ibn Taymiya (1263-1328) annonce notre Robespierre : pas de pouvoir sans vertu populaire, pas de vertu qui tienne sans un ferme pouvoir. Sans doute l’austère pontife s’exprimerait-il aujourd’hui plus sobrement. Les godillots de Dieu ne sauraient gouverner qu’à coups de pied au cul. Affaire à suivre ! ♦