Billet - Projet de protocole additionnel à la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948
Considérant que, comme d’éminents philosophes l’ont annoncé de longue date (1), il n’y a plus, dans la portion de planète qu’on appelle Occident, d’événements susceptibles de nourrir l’esprit des hommes et d’exercer leur capacité de résilience,
Considérant que cette carence est mal supportée par l’ensemble des citoyens, lesquels se réfugient dans la quête de pseudo-événements, faits divers travestis en catastrophe d’intérêt national, sinusoïdes boursières dessinées par l’humeur des marchés, prolifération d’entreprises proposant aux chalands des événements créés sur mesure à leur intention ce qui est la négation même du concept événementiel,
Considérant que certains gouvernements occidentaux ont été jusqu’à inscrire dans leurs lois fondamentales un principe de précaution, lequel vise ouvertement à prévenir la survenue des événements fâcheux, alors que ceux-ci sont infiniment plus efficaces que les événements heureux pour le divertissement des humains,
Rendant pourtant hommage aux travaux de politologues avisés qui, faute de déceler des menaces concrètes à échéance visible, en inventent de multiples, mais lointaines et incertaines,
Nous, Assemblée générale des Nations unies, reconnaissons explicitement parmi les droits de l’homme le droit à l’événement et incitons les gouvernements d’Occident à favoriser, par tous moyens en leur pouvoir – au moins à ne pas entraver – l’apparition de véritables événements de nature à satisfaire la légitime attente de leurs administrés.
Considérant, d’autre part, que la partie « non occidentale » de la planète, loin d’être dans la situation de l’autre, regorge d’événements d’une remarquable authenticité,
Nous, Assemblée générale des Nations unies, recommandons aux dirigeants des peuples qui y vivent de poursuivre leurs œuvres distrayantes, guerres, conflits internes, printemps arabes ou autres, famines, catastrophes naturelles incontrôlées, toutes propres à éviter à leurs administrés l’ennui dont souffre l’Occident et à fournir à celui-ci, tant qu’il n’aura pas réussi à créer ses propres événements, le matériau indispensable à la satisfaction du droit nouveau.
Pour copie conforme, ♦
(1) Le rédacteur pense évidemment au célèbre passage de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835 et 1840), « Je promène mes regards sur cette foule innombrable composée d’êtres pareils… » et au livre de Jean Baudrillard, L’illusion de la fin ou la grève des événements (Galilée 1992). Note du Rapporteur.