Billet - Mauritanie In Memoriam
Combien de lieutenants, combien de capitaines
Étaient partis joyeux pour des courses lointaines
Et puis sont retournés pleins d’usage et raison
Vivre au pays natal leur dernière saison !
Ils racontaient alors, verbe haut, voix martiale,
Le front auréolé de gloire coloniale,
Avant que de partir ce qu’ils avaient rêvé
Et, rêves oubliés, ce qu’ils avaient trouvé.
Penchés sur le garrot de leurs blanches chamelles,
Ils voyaient se lever des étoiles jumelles
Qui leur semblaient monter des lointains inquiétants
Pour saluer l’arrivée des derniers conquérants.
Le soir, autour des feux qui repoussaient le vide
Et tenaient à distance et le chacal avide
Et l’hyène ricaneuse et le djinn malfaisant,
Ils riaient, ils chantaient et l’éclat de leur chant
N’éveillait autour d’eux que l’écho de la dune
Ou l’éclair d’un fusil qui reflétait la lune.
Dès l’aube ils repartaient. Sur le velours glacé
Du sable, leurs pieds nus dessinaient un tracé,
Quand le vent du désert, porteur de sortilège,
Effaçait derrière eux la trace sacrilège.
Et les hommes marchaient, comme au premier matin,
Rejetant vers le Sud le vieux limes latin.
Blanche plaine infinie, dalle noire qui résonne,
La terre qu’ils foulaient n’est chose de personne,
Mais eux voulaient lotir tout le sol africain
Afin d’y établir l’ordre républicain.
Le Maure les guettait. Sa chevelure sombre
Masquait ses yeux de jais, étincelants dans l’ombre.
Le combat s’imposait, le Français combattit,
Frèrejean et Gouraud, Trancart et Psichari,
Ghezzou contre ghezzou et la bande rebelle
Décida de cesser cette vaine querelle.
Nul stratège ne sait où sa guerre conduit.
Le Maure fut vaincu. Le Français fut séduit.
De l’ennemi d’hier il se mit à l’école,
Joli retournement, ultime caracole.
Lorsque le feu cessa et que, métier bénin,
On n’eut à redouter que bêtes à venin,
Vipère, scorpion ou jaune tarentule,
Le Chef borgne monté sur le chameau gétule
Apparut à son tour, les armes du guerrier
Laissant place en sa main au bâton du berger.
Ayant vite oublié les splendeurs palatines,
Il devint amoureux des façons sarrasines.
Et tous, avecque lui de voiles bleus vêtus
Où l’alizé jouait de son souffle têtu,
Qu’ils vinssent de Quimper ou de Fontarabie,
Se prenaient à singer Laurence d’Arabie.
Le méhari gracieux détrôna le cheval,
Le vaisseau du désert y règne sans rival.
La langue du pays leur devint familière,
Dialecte délicat de la gent chamelière.
Dans leur souci constant de bien administrer,
Ils se firent devoir de tout enregistrer.
Brosset détermina l’orientation du sable.
Trancart mit sur papier la terre insaisissable.
Le père Borricand, vieil ascète barbu,
Du peuple réguibat recensa la tribu.
Beslay lui succéda, chamelier mélomane,
Capable de chanter la poésie bidane
En trottant sur le ragg, solitaire insoucieux,
Mi-maure mi-français sous la voûte des cieux.
Un autre du chameau fit un vocabulaire.
Aidé d’un goumier noir, mine patibulaire,
De tous les végétaux il nota le détail
Et ce qu’en chacun d’eux apprécie le bétail.
Hélas ! Qu’est désormais leur science devenue
Et qui connaît là-bas leur quête saugrenue ?
Il n’est plus de bédouin en ces terres d’Orient
Prêt à braver le froid ou l’irifi violent.
Les Maures du grand large ont rejoint le bitume.
La sécheresse affreuse a ruiné leur coutume,
Ravagé leurs troupeaux, et la modernité
A corrompu les gens par sa facilité.
L’élevage nomade est une tâche dure
Qu’on ne peut espérer qu’un citadin endure.
De ce pays changé quand le gouvernement
Voulut mettre à chameau un nouveau groupement,
Il lui a bien fallu, et toutes hontes bues,
Consulter à Paris nos badernes chenues.
Mais c’est assez parler de conquérant conquis,
De conquérant séduit, de conquis conquérant. Allons !
Laissons tomber le con le quant le qui,
Et tout pareillement le con, le qui, le quant.
Le Vieil (avec l’aimable collaboration de MM. Hugo, du Bellay, de Heredia, Chénier) ♦