Billet - Allo Maman bobo
Il y a quelque vingt ans je rencontrai Bernard Kouchner, occurrence heureuse qui ne se renouvela pas. Il n’était alors que french doctor ce qui, en ces temps d’élections prochaines, m’autorise à évoquer ce souvenir. Un colloque à la Sorbonne, auquel nous assistions l’un et l’autre, avait pour objet la situation du monde. Ce fut un concert de lamentations, non sur le monde mais sur la France dans ce monde. Quand le concert se tut, Kouchner, que je ne connaissais pas, se leva et, en quelques mots bien sentis, exprima l’indignation que suscitait en lui, familier de la vraie misère et des vrais malheurs, la plainte des nantis bien tranquilles qui occupaient la salle. La poignée de mains que j’échangeai avec lui, ce jour-là, fut des plus chaleureuses.
Depuis lors, les choses ont empiré. Entre pauvres et riches de la planète, l’écart s’est accru. La guerre a disparu de notre horizon européen alors que, sous des formes moins ordonnées mais plus cruelles, les peuples lointains ajoutent les massacres à leur misère. Or, qui se plaint ? Les favorisés, et singulièrement les Français, champions à la fois du bien-être et du pessimisme. Il m’est revenu de Sirius, étoile de la constellation du Grand Chien, que le Grand Chien Vert (GCV) qui y gouverne s’était fait présenter, par les petits chiens verts qui sont à son service, l’état du monde terrestre. Il s’en inquiète en effet, sachant que la Terre est, avec le sien, le seul astéroïde à héberger des êtres vivants, lesquels peuvent être méchants, quelque médiocre que soit leur science. S’étonnant de ce que la Commission ad hoc ait classé les Français au même degré d’indigence que les Zambiens, le GCV s’est vu répondre que le classement avait été établi en fonction de ce que Français et Zambiens disaient d’eux-mêmes, critère que la Commission juge le plus fiable. Le responsable vert précisa que la France avait un hymne national dont le refrain, significatif, était Allo Maman bobo et que l’auteur, nommé Alain Souchon, jouissait là-bas d’un gros prestige.
Il ajouta que, dans ce malheureux pays, les élections prochaines allaient porter au pouvoir un nouveau GCV, ou reconduire le même, et que le choix dépendrait des capacités de l’un et de l’autre à materner son peuple. Il proposa, enfin, de créer un néologisme pour caractériser le régime du pays qu’on appelle France : la bobocratie. ♦