L’Otan au XXIe siècle, la transformation d’un héritage
L’Otan au XXIe siècle, la transformation d’un héritage
Les lecteurs de la RDN connaissent bien le colonel Olivier Kempf, conseiller de la rédaction et auteur de nombreux articles et ouvrages faisant référence tant sur l’Otan que sur le cyber. La seconde édition de son livre sur l’Alliance atlantique vient à point nommé pour proposer au lecteur francophone le travail « référent » sur cette organisation militaire, d’autant plus que la littérature en français est, au final, assez réduite.
La difficulté sur ce sujet est son extrême sensibilité chez les « sachant » français toujours prompts à tomber dans les excès de la passion dès que l’on parle de l’Otan. Si l’on est un tant soit peu favorable à l’Alliance, on devient un Atlantiste vendu aux multinationales américaines. À l’inverse, si l’on est hostile à l’Otan, on est un néogaulliste nostalgique du Grand Siècle et favorable à une nouvelle alliance avec le maître de la Grande Russie. Le débat serein est donc difficile tant les antagonismes demeurent vivaces dans la communauté stratégique française.
Le mérite de ce livre est d’éviter ainsi cette approche partisane et trop facilement manichéenne, en exposant avec rigueur et exhaustivité une organisation déjà ancienne puisqu’elle fête ses soixante-cinq ans (l’âge de la retraite ?).
Cette mise en perspective, s’appuyant sur une lecture croisée, permet de mieux comprendre la complexité et le fonctionnement d’une Alliance qui a dû évoluer en permanence face aux changements brutaux de l’Histoire. Une idée très pertinente est ainsi le principe de concurrence : l’Otan a été en concurrence avec le défunt Pacte de Varsovie, puis en concurrence avec une Union européenne en quête de soft power, mais aussi en compétition avec l’ONU lorsque l’hyperpuissance américaine pensait pouvoir passer outre les instances internationales pour conduire sa croisade contre le terrorisme. Avec le paradoxe difficilement compréhensible de certains des États-membres cherchant à jouer sur plusieurs tableaux de façon contradictoire.
L’élargissement, à la suite de la chute du mur de Berlin, en a été l’illustration avec les nouveaux États-membres recherchant avec l’Otan d’abord un lien privilégié avec Washington et dans l’UE, une garantie principalement économique. D’où la question non encore résolue des relations entre ces deux organisations qui, de surcroît, sont colocalisées à Bruxelles mais qui ont du mal à dialoguer entre elles.
Par ailleurs, autre intérêt de l’ouvrage, la mise en valeur des nouveaux enjeux pour l’Alliance. Ainsi, la problématique « cyber » avec une agressivité forte venant de pays tiers comme la Russie, la Chine ou d’entités hostiles issues de la sphère islamiste. Bien qu’ignoré du grand public, le travail effectué par l’Alliance est essentiel pour maintenir un minimum de résilience en Europe. Cette adaptation d’une organisation, au départ conçue pour répondre à la menace soviétique, est donc tout à fait intéressante à étudier et à comprendre.
Le fait est qu’à chaque fois que l’Otan s’est interrogée sur son avenir et donc son devenir, l’Histoire lui permet de se relancer. Chute du Mur, mais conflits dans les Balkans, 11 septembre et engagement en Afghanistan, cyberattaques, Géorgie et aujourd’hui Ukraine… Nouveaux concepts pour l’engagement de l’Otan et retour aux fondamentaux militaires, là aussi, le travail d’Olivier Kempf permet de voir ce processus ininterrompu de transformation d’une organisation certes très bureaucratique mais qui, au final, fédère les énergies et les compétences de ses membres. Ainsi, malgré les baisses des budgets consacrés à la défense dans la plupart des pays européens membres de l’Otan, néanmoins c’est bien cette dernière qui permet de conserver une vraie capacité de défense, même si celle-ci est pesante à mettre en œuvre. La coordination, l’intégration et l’interopérabilité des forces sont bien les résultantes de décennies de travail et d’efforts partagés au sein de l’Organisation. Ces acquis, certes fragiles pour des questions financières, constituent un socle commun et sans équivalent dans le monde. Y compris pour la France, dont les engagements intensifs en opérations extérieures bénéficient pleinement du retour effectif au sein de la structure militaire intégrée effectué depuis quelques années.
Le livre d’Olivier Kempf est d’ores et déjà un « incontournable » pour celui qui veut s’intéresser aux relations internationales. Par sa richesse en informations et la clarté pédagogique de l’exposé, il devrait être de lecture obligatoire pour tous nos militaires et diplomates travaillant notamment à Bruxelles ou amener à travailler avec l’Otan. On souhaiterait au final un tel travail sur l’Union européenne, l’autre grande organisation européenne.