Billet - Ah, les braves gens !
Poursuivons sur le déclin, cette obsession qui nous taraude, qui tient à une « certaine forme de présence au monde », à ce « sentiment du lien privilégié que la défaite entretient avec le tragique de l’Histoire, l’idée que les hommes ne se montrent jamais aussi grands que dans la catastrophe et la conscience de la mort annoncée », pour citer Jean-Marc Largeaud et son Napoléon et Waterloo. La défaite glorieuse. Il y a désormais davantage qu’une posture littéraire, il y a l’abandon de positions séculaires chèrement acquises, sociales et politiques. Mais Heidegger ne disait-il pas : « Avant que l’être puisse se montrer dans sa vérité initiale, il faut que l’être comme volonté soit brisé. C’est seulement après ce déclin que devient sensible la durée abrupte du commencement » ?
« Déclin de la France, déclin de l’Occident, déclin de sa propre aventure, non pas dans le sens de l’obscurcissement mais dans le sens de sa propre fatalité, de sa grandeur », relevait Dominique de Roux dans L’écriture de Charles de Gaulle. « S’il y a un secret vraiment dernier de l’entreprise gaulliste, ce secret se trouve partagé entre une complicité profonde avec le mystère fertile du déclin, avec les liturgies de la grande nuit nécessaire, avec la mort qui dépouille et qui rend tout à son autre identité à venir, en même temps qu’entre sa farouche volonté de ne rien laisser perdre, “homme par homme, morceau par morceau”. La dernière parole occidentale, la dernière action occidentale, l’écriture occidentale de la fin et son histoire se sont résolues dans une vision de déclin qui pourtant porte en elle la certitude d’une autre Longue Marche au-delà de son propre néant ».
Car il y a toujours un après. Charles de Gaulle consacra dans La France et son armée un chapitre entier aux opérations menées après le désastre de Sedan de 1870. Qui se souvient qu’on se battit quatre mois encore avec les armées de Chanzy et Bourbaki ? Ce récit gaullien pourrait s’appliquer à ce qu’il vivra deux ans plus tard, après l’autre Sedan. Il n’est jusqu’à la remarque que, « dans cette guerre sans consolations », la France ne manqua ni d’hommes ni de matériel, ni de chefs de corps compétents, et qu’elle ne fit pas davantage « d’économies de sacrifices ». Ach ! Die tapferen Leute, s’exclama le roi de Prusse à Sedan devant une charge de nos chasseurs d’Afrique. C’est ce que les élites mondialisées disent de nous, cette fois sans une once de compassion : à quoi vous servent vos cuirassiers de Reichsoffen, vos pontonniers d’Éblé, vos Cadets de Saumur ?
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