Billet - Monsieur George et le panoptique
Il y a plus de vingt ans de cela, un auteur de mes amis écrivit les mémoires apocryphes d’un lointain parent, l’abbé Duvernet, enfermé à la Bastille pour mauvais esprit envers Louis XVI. Il imagina que le roi, cherchant à prévenir une révolution déjà faite dans les esprits, aurait eu l’idée de couvrir le royaume de lanternes et de cornets acoustiques et de faire ouvrir le courrier de la Poste. Mais la guerre des Farines faisait échouer le projet et le ministère Turgot se repliait sur l’expédient des lettres de cachets, faisant pendre deux adolescents pris au hasard parmi les émeutiers.
Le roi s’opiniâtrant dans sa résolution, l’abbé lui proposait alors d’inventer au-delà des mers une guerre d’indépendance dans un pays imaginaire où tous se soumettraient à une surveillance de tous les instants, et d’en imposer le modèle à ses sujets comme viatique à leur solitude : vous m’êtes transparents mais au moins quelqu’un sait que vous existez. Ainsi l’abbé, avec la préscience que permet un roman, aurait pu anticiper Tocqueville que l’on a cessé de citer depuis que ses prédictions sur le panoptique se réalisent par le Cyber, et surtout qu’on l’aura mal lu deux siècles durant, en confondant, malgré ses avertissements répétés, particularisme américain et tropisme démocratique.
Car le député de Valognes connaissait la Suspension Clause de la Constitution de George Washington et les Patriot Acts qui en découlèrent dès 1798. Tout nostalgique qu’il fût d’une liberté aristocratique qu’il croyait défunte, il n’en avait pas moins compris, comme l’écrira Georges Bernanos, que l’homme à la mitraillette précède l’homme totalitaire, et non l’inverse comme l’ont prétendu ceux qui, depuis deux siècles, tentent de nous convaincre que prendre la Bastille fut une grave erreur. Tocqueville décrit un pouvoir a-démocratique, immense et tutélaire, sorte de for extérieur qui surveille chaque individu, et il ne connaissait pas la National Security Agency ni le National Defense Authorization Act de 2012 autorisant les détentions sans jugement ni limite de temps, autrement dit rétablissant les lettres de cachet. Et lui, qui à propos de la répression de 1775 pourfendait la Secte des économistes dans lesquels il voyait les pères fondateurs de ce despotisme dont il devinait les prémices aux États-Unis, n’aurait pas été surpris d’un rapport de mai 2013 de la première banque d’affaires américaine prônant l’instauration de régimes autoritaires et dénonçant le droit de manifester.
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