La nouvelle Europe de Charlemagne
Ce livre, préfacé par Alain Peyrefitte, a « fait le bonheur » de Pierre Chaunu. L’auteur se recommande de Maurice Allais. Son œuvre est un florilège de citations et de références puisées en France et à l’étranger, y compris chez les pontes d’Harvard où Rousset enseigna : « Kohl pense que… Balladur a dit… d’après Goh Choh Tong (sic)… » Allez après cela tenter de discuter ! Sur le fond, nous nous en garderons bien. Peyrefitte est convaincu, Chaunu est enthousiaste, nous aussi, c’est la moindre des choses.
Que le constat soit effrayant, c’est certain pour qui journellement constate l’état de notre morale, de notre natalité et de nos finances. Que nous soyons devenus assistés, fainéants et plus amateurs de club Med que de stakhanovisme fait partie des probabilités. Que nous imitions les Américains dans ce qu’ils ont de pire, à savoir les bilans à très court terme, le fast-food et un sabir diplomatico-technologique, est du domaine des évidences. Et que, pendant ce temps, succédant à un Japon qui donne des signes d’usure et accompagnant une Chine désormais éveillée, des foules d’individus aux yeux plus ou moins bridés, travailleurs et volontaires, crient tous les jours à 5 heures : « Nous devons être les premiers ! » après avoir entendu l’hymne national (chez Hyundai), fait mal augurer de l’avenir de certaine régie, avec ou sans prime gouvernementale. Le premier chapitre pourrait être écrit par Le Pen, le deuxième par de Villiers ; nous manierons prudemment la litote en estimant qu’il y a du vrai là-dedans, même si le tableau dressé doit faire grincer des dents dans quelques rédactions de la rive droite… côté où se situe assurément l’auteur, bien que citant 1974 comme une « année maléfique », point de départ de nos malheurs, ce qui n’est pas gentil pour tout le monde.
Après avoir ainsi démarré en trombe et décrit de façon mordante la façon dont nos voisins immédiats, et nous-mêmes, sur le point de devenir autant d’asiles de vieillards, nous lançons « avec frénésie dans le déclin », ne pouvant guère espérer que des « renaissances partielles et passagères » ; après avoir, un peu longuement et avec moins de fougue, exécuté Ricardo et l’OMC, déploré le « cancer des délocalisations » et dénoncé l’ouverture à tout va de nos frontières ; après avoir enfin passé en revue, de manière somme toute classique, le partage du travail, les petits boulots, la CSG, le Smic, le RMI et autres sigles… Rousset n’énonce pas de formule miracle. Il rappelle que la présence dans les créneaux modernes n’implique pas l’abandon des secteurs traditionnels et qu’insertion est préférable à simple indemnisation. Il trouve une formule excellente pour comparer nos avancées sociales à l’attitude d’un « général qui, en pleine guerre, augmenterait le nombre des permissions ».
La solution pour nous tirer de là est de reconstituer le domaine de l’inventeur de l’école : un noyau franco-allemand solide, entérinant le match nul des ravages dont nous nous sommes rendus coupables l’un après l’autre au cours des siècles passés, se méfiant de la perfide Albion, évitant de « s’embourber » à vouloir trop s’élargir, baigné par le Rhin et non par l’Hudson. Apparaît ici ce qui nous a semblé la thèse essentielle de l’ouvrage : ce passage au niveau supérieur, supranational, offre à la France la chance d’être un modèle, un moteur, l’équivalent de ce que furent la Prusse pour l’Allemagne et le Piémont pour l’Italie. Ce rôle de pionnier doit s’accompagner d’une promotion de la langue française. Prusse, Piémont, notre pays doit être aussi le Québec de cette Europe carolingienne.
Il y faut, que diable, un peu de volonté ! Imitons les légionnaires du tunnel de Foum Zabbel, prenons exemple sur Nicolas Hayek, ayons ce « supplément d’âme » qui nous manque actuellement… et cessons ces démagogiques annonces en anglais sur nos vols intérieurs.
Ce livre semble partir pour être un coup de clairon. Si, au lieu de sauter du lit, nous avons paressé un moment, c’est qu’on a ici, à notre avis, un peu trop amorti les aigus sous une carapace de chiffres et d’exemples, répété les notes par peur d’en oublier. On est allé du manifeste vers l’encyclopédie, on a perdu en légèreté ce qu’on a gagné en exhaustivité et voici pourquoi, sans doute, à de rares moments, entre la lecture passionnée de passages percutants, il est arrivé que nous nous soyons çà et là ennuyés un brin. ♦