Ma guerre d’Algérie
Ce livre captivant exprime le sentiment que porte aujourd’hui le général Bigeard sur « une sale guerre » qui laisse encore des traces douloureuses dans l’esprit de beaucoup de Français. Avec le recul, l’officier le plus décoré de l’armée française raconte à sa manière toutes les péripéties de ce conflit particulier. Pour convaincre le lecteur, il s’appuie sur plus de 200 documents d’archives (personnels et publics), ainsi que sur de superbes photographies d’époque dues pour la majorité au sergent-chef Flament (le photographe attitré du général Bigeard).
Les points forts de cet album abondamment illustré concernent les opérations du 3e RPC (3e régiment de parachutistes coloniaux, surnommé le « régiment Bigeard ») aux quatre coins de l’Algérie, l’attentat dont l’auteur fut victime à Bône, la visite que lui fit le général de Gaulle à Saida et les moments difficiles de la bataille d’Alger. Sur cet événement capital, il est bon de rappeler que les parachutistes ont remporté une victoire incontestable en mettant un terme aux attentats terroristes dans la capitale algérienne. Ce succès a été la conséquence de l’effort sans précédent porté dans le domaine du renseignement.
Une place particulière doit être également accordée à l’action du colonel Bigeard au centre d’entraînement à la guerre subversive créé en avril 1957 et installé dans la région de Philippeville. Pour former les officiers aux techniques de la contre-guérilla, le « premier parachutiste du monde » (surnom donné par les journalistes de l’époque) a mis en pratique sa méthode légendaire basée sur le pragmatisme et le culte des valeurs patriotiques. Il s’agissait d’abord de donner la foi aux stagiaires qui devaient se battre « en guerriers du monde libre ». Les murs de cette école de guerre subversive étaient ainsi couverts de slogans mobilisateurs : « Cette armée doit être fanatique, méprisant le luxe, animée de l’esprit des croisés » ; ou encore : « Cette armée, nous la voulons tous soutenue par le peuple et garante de nos libertés ». Pour entretenir le souvenir, les salles d’instruction étaient ornées de maquettes des grands épisodes d’Indochine et d’Algérie. Pour « transformer les officiers en véritables fellaghas », le stage était axé sur les exercices pratiques (remise en forme physique, sauts en parachute, initiation au commandement par des opérations simulées) et sur des mises en situation spécifiques à la guérilla algérienne qui obligeaient le stagiaire à penser et à réagir comme l’ennemi. Sur cette question, l’auteur fustige au passage « les cours pompeux et inutiles des écoles parisiennes ».
Parmi les grandes réussites de « la machine Bigeard », il convient aussi de mentionner l’action efficace des « commandos Georges », composés de musulmans ralliés. Le procédé de recrutement était simple : passage dans les prisons pour sélectionner les plus valeureux, puis explication sur le bien-fondé de la mission. Ces hommes de l’ombre sont très vite devenus le fer de lance des unités parachutistes. Pendant la journée, ils vivaient avec leurs congénères et fournissaient ainsi de précieux renseignements. La nuit, ils devenaient soldats : habillés en fellaghas, ces commandos précédaient souvent les éléments français dans les villages où, jouant la comédie, ils prétendaient fuir les parachutistes et avoir de nombreuses informations sur leurs positions. Du coup, toute l’équipe FLN locale accourait et se retrouvait prisonnière des soldats français. Avec d’autres ruses du même type, ces astuces de terrain ont permis aux unités parachutistes d’obtenir des bilans particulièrement élogieux, qui ont fait de Bigeard un véritable mythe vivant et le maître incontesté de la lutte antiguérilla.
Tout au long de cet ouvrage passionnant, c’est l’aspect humain qui est mis en valeur. Pour l’auteur, l’efficacité d’une troupe repose essentiellement sur les qualités du chef. Les soldats, notamment les appelés, sont capables du meilleur s’ils sont bien encadrés, motivés et galvanisés. C’est la grande leçon que nous livre, une fois de plus, l’un de nos plus prestigieux meneurs d’hommes. Toutefois, le général Bigeard ajoute dans ce document poignant une impression de nostalgie sur le drame algérien, qui est bien résumée dans cette maxime émouvante : « L’Algérie, cette piste sans fin qui ne mène nulle part, au destin imprévisible où la mort frappe dans le décor qu’elle a choisi ». ♦