La France dans le Pacifique Sud – Approche géostratégique
Version réduite d’un travail universitaire déjà ancien, à jour en principe en son dernier chapitre, ce livre de deux cents pages, doté d’une unique carte qui n’est d’ailleurs pas celle du Pacifique Sud (on y aperçoit le Japon) et d’une bibliographie diaphane (une trentaine de titres d’ouvrages déjà anciens pour certains ou de caractère anecdotique pour les autres) mais sans index, paraît bien léger sur un tel sujet.
Bien sûr, l’ouvrage se définit prudemment par son sous-titre comme une « approche géostratégique » ; mais la géostratégie, comme la géopolitique, comme la classique géographie leur mère commune, constitue une science de synthèse, pluridisciplinaire par définition ; il faudrait à l’auteur maîtriser les sciences humaines, mais aussi celles de la nature, notamment de la mer, et même les sciences exactes, car n’oublions pas que la physique nucléaire joue, dans le cas traité, un rôle fondamental. Or, il est touché un peu à tout, mais, fatalement, de manière superficielle sinon approximative, sauf en ce qui concerne la politique politicienne, essentiellement française, et aussi celle des pays de la région que l’auteur a parcourue : elle s’y trouve beaucoup plus à l’aise et d’ailleurs s’y attarde avec délice ; on a vraiment l’impression du Fabrice de Stendhal qui ne voit que le petit côté de la bataille. Demeure pour le lecteur l’impression d’avoir parcouru un résumé un peu confus de vingt-six ans (l’auteur précise bien les limites chronologiques de son étude) d’événements de natures diverses, tous en relation plus ou moins directe avec ce qui se passe simultanément dans les antichambres parisiennes.
C’est sans doute sur le problème des expérimentations nucléaires, qui n’est pourtant pas une petite affaire, que l’approche de l’auteur est la plus partielle, peut-être partiale (mais elle est libre de ses opinions à condition que celles-ci soient solidement étayées) et, précisément, la plus incomplète et même dépassée ; dans le dernier chapitre, qui se veut prospectif, d’un ouvrage édité en 1995, elle n’envisage même pas l’hypothèse d’une reprise des essais, et c’est en ce domaine que sa documentation est cruellement obsolète. Certes la politique nucléaire de Pierre Mendès France est intéressante, mais un peu en dehors des limites chronologiques fixées par l’auteur. Yves Le Baut, qu’elle cite à juste titre mais pour « les essais nucléaires français de 1966 à 1974 », a participé, depuis, à un ouvrage collectif publié en 1992 par le Groupe d’études français d’histoire de l’armement nucléaire, présidé par Jean-Baptiste Duroselle. On aurait pu ainsi en savoir un peu plus sur les explosions souterraines dont il est à peine question ; celles-ci ne semblent pas intéresser l’auteur, pourquoi ? peut-être parce qu’elles sont moins polluantes, comme le mentionnera le rapport Atkinson timidement mentionné au détour d’une page. Après 1970, ce qui se passe à Moruroa n’intéresse l’auteur qu’indirectement par le Rainbow Warrior ; cette action, qui n’aurait été que maladroite s’il n’y avait eu mort d’homme, apparaît à notre auteur comme une répétition de l’affaire Pritchard : c’est pour le moins discutable, car Louis-Philippe s’intéressait moins au Pacifique que François Mitterrand ! De nombreuses positions de l’auteur mériteraient ainsi d’être discutées.
Reste le style dont certains chercheurs se font une gloire de se moquer ; les ouvrages en français sur le sujet sont rares et l’auteur s’en plaint légitimement ; mais est-il écrit en français le texte où on lit « impulser » ou autre « supposément » ? ; les expressions familières abondent du pire style dit « journalistique ». Quant à l’illustration de la couverture, elle annoncerait plutôt un ouvrage d’ethnographie ; son symbolisme est pour le moins hermétique, d’autant plus que l’exergue qui la commente ne comporte pas de référence ; cette tête de mort remodelée est-elle l’image de la France ou celle du Pacifique Sud ?
Signalons, à titre de comparaison, un ouvrage qui porte (à peu près) le même titre : La France dans le Pacifique, de Jean Chesneaux et Nic Maclellan, un peu antérieur (1992) et qui, curieusement, n’est pas signalé en bibliographie ; il procède à peu près des mêmes a priori et, à ce titre, irritera sans doute les mêmes lecteurs, mais qui, quant à lui, est l’œuvre de deux auteurs connaissant parfaitement la région. ♦