Agent secrète
Dix ans après l’affaire du Rainbow Warrior qui déclencha une crise politique en France et entraîna la démission du ministre de la Défense Charles Hernu, Dominique Prieur a choisi de s’exprimer avec beaucoup de clarté et de franchise, mais jamais dans un esprit de revanche. Dans un ouvrage attendu, cet ancien officier de la DGSE nous livre le récit complet de cette incroyable mission menée à Auckland, en Nouvelle-Zélande, pour contrer les agissements de l’organisation Greenpeace à l’encontre de notre politique de dissuasion nucléaire. Dans un style très direct, l’auteur nous relate tous les faits marquants de cette expédition hors du commun : les préparatifs de l’opération, l’arrestation des « faux époux » Turenge, les conditions éprouvantes de sa détention dans la prison pour femmes à Christchurch, ses interrogatoires pénibles, son procès, le soutien moral de son avocat maître Soulez-Larivière, le réconfort sans faille apporté par son mari Joël, sa condamnation, son exil dans un îlot lointain du Pacifique (Hao) et les circonstances de sa libération.
Dans ce document vérité particulièrement émouvant, Dominique Prieur évoque également la genèse de sa vocation pour la carrière militaire et notamment son tropisme pour la vie active qui la conduira au « service action » de la DGSE. Première femme à appartenir à cette unité de choc, véritable sanctuaire entouré de légendes et de secrets, cet officier courageux nous fait vivre l’apprentissage de la clandestinité et les conditions difficiles d’entraînement des agents qui doivent posséder, non seulement des qualités physiques exceptionnelles, mais aussi des capacités intellectuelles spécifiques liées au jugement, au sens de l’initiative et à la vivacité d’esprit. Toutes ces aptitudes sont nécessaires pour faire ce qu’Alexandre de Marenches appelait « un métier de voyou exercé par des seigneurs ».
Dominique Prieur mettra d’ailleurs en pratique ses qualités extraordinaires en Somalie (son premier contact avec « la vraie misère et avec la guerre ») puis au Proche-Orient, d’où elle reviendra avec une citation et la croix de la valeur militaire, un titre de guerre attribué pour avoir « traversé à plusieurs reprises, et notamment en janvier 1985, des régions en rébellion contre l’autorité légale, et essuyé des tirs d’armes automatiques et d’artillerie lourde… » (texte signé par Charles Hernu).
Les enseignements à tirer sont nombreux. De la triste affaire du Rainbow Warrior, il ressort que les responsables qui ont planifié cette opération à haut risque ont fait preuve de graves lacunes dans la connaissance du milieu néo-zélandais. Ce pays lointain dans l’hémisphère Sud avait été décrit aux agents du service comme « très américanisé », avec un mode de vie proche de celui des États-Unis. Or, à Auckland, Dominique Prieur a découvert exactement l’opposé de l’agitation des agglomérations américaines : « Tout y bien rangé, bien soigné, avec de petites maisons entourées de jardins méticuleusement entretenus et de clôtures bien ordonnées. On ne distingue pas l’ombre d’un policier en ville. Cela signifie qu’ici les citoyens doivent assurer leur police eux-mêmes et se montrer très attentifs à tout ce qui vient modifier l’ordonnancement d’une vie bien réglée ; la pire des situations pour un agent clandestin ! ». En outre, les hautes autorités françaises avaient sous-estimé la réaction des Néo-Zélandais dont la culture est fortement imprégnée de traditions de style britannique et dont les caractères sont particulièrement sensibles à toute action qui dérange leur mode de vie classique. Ces mêmes responsables ont d’ailleurs très mal géré cette véritable affaire d’État qui, paradoxalement, n’a pu être débloquée que par l’intervention de la presse. La pugnacité de certains médias a en effet contraint les commanditaires de l’opération et les hautes autorités gouvernementales à prendre leurs responsabilités pour sortir de prison des officiers qui avaient accompli une mission sur ordre.
L’originalité de cet ouvrage ne tient pas seulement au récit d’une action audacieuse qui a mal tourné. Ce document captivant est également porteur d’un message d’espoir pour la jeunesse d’aujourd’hui, souvent désemparée par les vicissitudes d’un monde troublé, mais toujours à la recherche de modèles qui ont réussi à surmonter des situations difficiles grâce à leur générosité, leur bravoure, l’obstination et surtout la passion d’agir pour servir leur pays. Pour la nouvelle génération, Dominique Prieur est devenue incontestablement l’une des références dont notre société a besoin. ♦