Toukhatchevski, le bâtisseur de l’Armée rouge
Comme elle l’avait déjà fait en 1990 avec son Koutouzov, Sophie de Lastours nous invite à la redécouverte d’une époque grâce à l’étude de la personnalité d’un chef militaire, en l’occurrence le maréchal Mikhaïl Nicolaïevitch Toukhatchevski.
Bon chef de guerre, comme il le montra pendant la guerre civile, dans l’Oural (1918), dans le Caucase (1918-1919), puis contre la Pologne, il s’est surtout distingué de 1925 à 1937 comme l’organisateur du commandement des forces armées soviétiques et l’introducteur de nouvelles méthodes de combat, comme l’arme aérienne, la mécanisation et la vitesse.
Était-il bolchevique ? Probablement pas. Il aspirait « à être à la tête d’une armée nationale russe invincible ». Il dut, pour cela, accepter de servir les bolcheviques. Il le fit, et d’écraser dans le sang les révoltes de Cronstadt et de Tambov ; il le fit sans état d’âme. A-t-il fomenté un complot ? Avec quasi-certitude, l’auteur répond non. Les discussions assez poussées qu’il eut avec Français, Anglais, Allemands, voire Américains, de 1930 à 1936, étaient plus destinées à tester ses propres intuitions qu’a renverser Staline. Que d’autres (Trotski ; les Russes blancs) aient eu des intentions basées sur les sentiments présumés de Toukhatchevski, c’est sûr, mais le maréchal n’en a sans doute rien su.
Pourquoi a-t-il été condamné ? Le tribunal a retenu comme constitutif de la volonté séditieuse de Toukhatchevski, la décision de remplacer la cavalerie par des groupes blindés et motorisés. Par-delà cette anecdote, l’auteur apporte deux réponses qui ne s’excluent pas. La première tient à la puissance acquise par l’armée rouge sous la férule de Toukhatchevski. Dans une URSS en décomposition sociale et économique, des forces armées aussi bien entraînées représentaient un danger politique potentiel que Staline ne pouvait pas accepter ; il a préféré frapper pour lever cette hypothèque : 30 % du commandement soviétique a été sacrifié. Staline ne devait reprendre confiance dans la stavka qu’après Stalingrad. La deuxième réponse est plus surprenante : Sophie de Lastours avance que Staline et Hitler auraient passé un pacte formel, fin 1934 début 1935, destiné à décapiter le haut commandement soviétique. L’hypothèse est séduisante, mais demande à être étayée.
Inévitablement, l’auteur encourt quelques reproches : les événements d’octobre 1917 sont un coup d’État et non une révolution, la description des épisodes militaires de l’Oural et du Caucase pourrait être précisée ; on aurait aimé en savoir plus sur l’écho rencontré dans les capitales occidentales, notamment Paris, par les ouvertures de Toukhatchevski. En définitive, un livre utile aux nouvelles générations pour éclairer cette partie méconnue de l’histoire du continent. ♦