« La violence politique des enfants »
La violence enfantine, attendrissante parfois, effrayante plus souvent, est un fléau de notre époque. On compte aujourd’hui quelque 200 000 enfants soldats répartis en plus de quinze pays. Cultures et conflits, revue trimestrielle, a consacré à ce grave sujet son numéro de l’été dernier, qui réunit, sous la direction de Daniel Hermant et Louis-Jean Duclos, de passionnantes études.
On commence, gentiment si l’on peut dire, en compagnie de Gavroche et des enfants perdus de la Commune. De ces petites figures romantiques on peut retrouver quelques traits chez les lanceurs de pierre de l’intifada palestinienne ; mais aucun chez les « loulous » de nos banlieues, totalement dépourvus de charme.
En Iran et au Mozambique, voici les vrais combattants, anges dont on fait des démons. Le bassidje iranien, comme dit savamment M. Khoroskhavar, est une fabrique de martyrs. Chair à canon pour la guerre contre l’Irak, ces jeunes auxiliaires de la révolution islamique sont mis en condition par des prêcheurs criminels : « Nous les vieux, dit l’un, sommes indignes du sacrifice ; vous seuls, enfants de pureté, pouvez être d’efficaces victimes ». Exaltés par cette promotion, les martyrs programmés s’en vont joyeux s’offrir au feu de l’ennemi. Détail atroce, les survivants sont culpabilisés. Au Mozambique, point de sacrifice, mais la cruauté toute nue ! Les enfants enlevés dans les villages par la Résistance nationale mozambicaine sont éduqués à la guerre et au crime. Donner la première mort est le rituel d’initiation. Dans le sud du pays, deux tiers des unités d’assaut sont constitués d’enfants de moins de douze ans, gamins sans peur et sans pitié.
Moins guerrière, uniquement politique, c’est pourtant la violence des gardes rouges qui touche le fond de l’enfer. Il faut lire ce chapitre-là comme en expiation de l’accueil enthousiaste que nos bons esprits de 1968 ont réservé à la révolution culturelle chinoise. Tout débute à l’école. Mao, dieu vieillissant de la jeunesse, tourne la paresse en vertu et suggère aux étudiants un nouveau devoir : humilier les maîtres (en été 1966, à Pékin, 200 professeurs seront acculés au suicide), puis les intellectuels, puis les cadres administratifs, puis les chefs politiques. Le paroxysme de ces extravagances chinoises est peu connu. En juin et juillet 1968, on vit des élèves dévorer (nulle métaphore ici) la chair de leurs professeurs déchus.
Le sociologue, dans sa synthèse, s’interroge doctement sur le concept d’enfance. Les gardes rouges donnent la réponse. L’enfant est disposé à toutes actions, et les plus réjouissantes sont cruelles. Quand les adultes partent en guerre, ils retombent en enfance. ♦