L’Europe et l’Afrique, de 1914 à 1970
À partir de la pénétration européenne en Afrique, orchestrée au Congrès de Berlin, l’attention des trois auteurs professeurs s’est portée, dans leurs études respectives, sur l’évolution de la colonisation et surtout de la décolonisation dans les diverses possessions africaines de l’Allemagne, de la Belgique, du Portugal et de la Grande-Bretagne. Les Français, en considération des problèmes que leur ont posés leurs propres possessions, doivent pouvoir y trouver un intérêt particulier.
Les relations entre l’Allemagne et l’Afrique au XXe siècle ont été chaotiques. Après la constitution rationnelle d’un empire colonial commencée par Bismarck, et dont le modèle a vite été très apprécié, l’annexion des possessions allemandes par les Alliés, pendant la Première Guerre mondiale, a conduit à un dépeçage de cet empire au traité de Versailles. La république de Weimar a eu beau protester, poser le problème de l’Afrique lors de son entrée à la Société des Nations, toute forme de présence coloniale allemande fut écartée, à l’exception des seules missions.
Pour le IIIe Reich, soucieux d’abord de ménager l’Angleterre, l’Afrique n’ayant pas de matières premières nécessaires n’est pas un objectif prioritaire et Hitler confie la politique africaine aux associations, leur laissant le soin de promouvoir les mouvements nationalistes contre les colonisateurs ennemis : France, Angleterre. Après la Seconde Guerre mondiale, c’est la République démocratique allemande qui s’intéresse à l’Afrique, y devient l’ambassadeur du marxisme et s’assure un certain succès au début par son monolithisme politique, culturel, technique et commercial ; mais son action n’est guère poursuivie lors de la réunification de l’Allemagne.
À l’inverse de la colonisation allemande fondée sur l’autorité du colonisateur largement déléguée aux organisations traditionnelles locales, les conceptions coloniales portugaise et belge sont purement matérielles, aux mains de compagnies privées guidées par le seul souci d’exploitation de matières premières, telles que l’Union minière du Katanga occupant plus de 80 000 Noirs. L’autorité du colonisateur portugais ou belge est contrariée dans le domaine confessionnel par l’influence des missions protestantes de l’Église anglaise baptiste.
Si le Portugal n’est pas ségrégationniste politiquement, il reste quelque peu esclavagiste dans une économie qui repose sur le « travail forcé ». Les rébellions dans les plantations, la subversion des missions, l’asianisme au Mozambique, eurent raison de l’empire portugais qui disparut dans la révolution des œillets, en 1974. Quant à la Belgique, c’est surtout une profonde méconnaissance des populations noires qui entraînera l’effondrement de son œuvre et la désintégration du Congo entre 1960 et 1965, et dont les sursauts restent mal maîtrisés par le seul rescapé de l’indépendance, le maréchal président Mobutu.
La part du lion en Afrique fut sans conteste celle que s’était taillée la Grande-Bretagne, que seule la France pouvait lui disputer et ne s’était pas privée. Tout y opposait ces deux nations : la géopolitique, tous continents compris, la conception de la colonisation, la mentalité et les comportements nationaux. La Première Guerre mondiale, malgré le succès allié, va porter un coup fatal au prestige blanc. L’Afrique du Sud durcira sa position, alors que les nationalismes éclosent.
L’importance stratégique de l’Afrique dans le second conflit mondial va y introduire la guerre : Égypte, Libye, Soudan, et renforcer ainsi les mouvements d’indépendance. L’Union sud-africaine choisit la voie originale mais étroite de « l’apartheid », devenant pour l’Afrique un phare économique, mais politiquement inadmissible. Pour les autres possessions anglaises, le vent de la décolonisation va souffler plus fort avec MacMillan à partir de 1960.
À l’inverse du nationalisme indien, l’Afrique s’orientera vers une décolonisation socialisante. C’est le cas des Ghana, Nigeria, Sierra Leone, Ouganda, Tanganyika où se lèvent des leaders (N’Krumah, Margai, Obote, Nyerere), auxquels l’Angleterre s’empresse de remettre le pouvoir avec l’indépendance. Les pays où la présence colonisatrice est significative ont plus de mal à trouver un équilibre, tels le Kenya avec la révolte des Mau-Mau ou les Rhodésies.
Quel héritage la Grande-Bretagne a-t-elle donc laissé à ses possessions d’Afrique ? Peu de choses à la vérité ; le modèle politique de Westminster a été un échec et le pouvoir s’est conquis à coups de force militaires (sécession biafraise, dictature d’Amin Dada, etc.). L’Afrique du Sud, pour sa part, quitte le Commonwealth en 1961. En réalité, l’Angleterre ne s’est guère intéressée à ce continent, refusant d’investir dans son économie, dans sa culture, dans son administration. Elle s’est contentée de conduire sans trop de secousses la dissolution de son empire africain, le maintenant dans un Commonweath devenu vide.
Il eut été intéressant de connaître, de la part de nos trois auteurs experts de l’Afrique, leur opinion sur la décolonisation menée par la France ; mais il apparaît quand même à la lumière de ces brillantes études, que c’est encore la France qui a donné les meilleures preuves d’une intelligence colonisatrice désintéressée et relativement efficace. ♦