Les essais nucléaires français
Cet ouvrage collectif abondamment illustré arrive à point nommé, au moment où les essais semblent destinés à ne plus former qu’un chapitre de l’histoire universelle, dans une concertation de vestons plus ou moins sincères et un envol de saris contestataires. Il reprend, en l’actualisant et en la complétant, une série d’exposés présentés lors d’une table ronde organisée en 1992 par le Grefhan du professeur Vaïsse. Les intervenants sont tous gens compétents, ayant vécu de près les événements dont ils nous entretiennent et, bons pédagogues, ils se montrent capables, en des récits vifs et concis, de relater l’essentiel de leur expérience tout en restant en général compréhensibles et concrets.
Malgré quelques inévitables répétitions, chacun ayant vu la boule de feu avec ses propres lunettes, et de rares passages elliptiques dus en partie au caractère synthétique des exposés et sans doute aussi à la nécessité de respecter un minimum de confidentialité sur des sujets qui ne sont pas encore totalement du domaine public, on suit aisément le développement de l’affaire : « continuité entre IVe et Ve Républiques », les premiers forages à Reggane ayant été effectués dès 1957 ; passage des « Gerboises » aux tirs en galerie d’In Ecker ; transfert au CEP (Centre d’expérimentation du Pacifique) avec les gigantesques travaux préparatoires à Mururoa et à Fangataufa. Félicitons-nous de disposer ainsi en peu de pages digestes d’un panorama historique des 197 essais au cours desquels, en 35 ans, « la France a utilisé trois champs de tir successifs et changé six fois de mode de tir ».
Le lecteur trouvera ici confirmation de ce qu’il sait ou imagine déjà : l’absence de droit à l’erreur au cours d’opérations menées « comme à l’exercice » et qui ne connurent qu’un incident notable, le 1er mai 1962 ; les prouesses technologiques comme la mise en œuvre de ce « laboratoire de physique d’avant-garde » descendu en conteneur à des centaines de mètres de profondeur dans un puits de moins de deux mètres de diamètre ; l’hostilité persistante autant qu’épidermique des Blancs du Pacifique et la valse-hésitation des États-Unis qui boudent mais donnent un coup de main à l’occasion ; enfin le niveau insignifiant des conséquences radiologiques si impétueusement trompettées. Il mesurera mieux la complexité et surtout la nécessité des essais qui ne sont pas simple vérification de fonctionnement, mais, dans une « somme d’incertitudes » où l’on sort des « ordres de grandeur habituels », le recueil d’une infinité de mesures, voire d’appréciations, et la découverte de phénomènes inattendus comme l’action de l’onde de choc sur l’onde thermique à proximité du sol. Il recueillera des précisions sur le partage passé des missions entre armées et Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dans les domaines opérationnel et logistique ; sur l’interpénétration par « aller et retour permanents » entre simulation et essais réels ; en direction de l’avenir, sur le programme Palen, clairement décrit, et sur le réseau de détection sismique.
Le livre évoque aussi l’aventure humaine de ces équipes hétérogènes au départ, puis jouant un « rôle fédérateur » plus psychologique que scientifique, forcées à l’ingéniosité et à l’innovation, ayant leur jargon (presque leur argot, de « Pénélope » aux « PLBT ») et leurs anecdotes de popote : le ballon qui entraîne le bateau auquel il était amarré, le nom du marin britannique pris pour un commentaire élogieux, pour ne pas parler des rapports entre le calendrier des tirs et la situation au quartier latin en mai 1968 compliqués par la disparition du général à J-1 du premier tir thermonucléaire.
Il faudra certes s’efforcer de ne pas laisser perdre cette compétence et cette solidarité ; mais, à consulter la liste des baptêmes des essais, dont la chronologie figure en annexe d’Aldébaran à Orion et de Ménélas à Antigone, la France n’a-t-elle pas tout simplement été obligée de les arrêter par épuisement des vocabulaires stellaire et mythologique disponibles ? ♦