Le département du diable – La Russie occulte d’Ivan le Terrible à nos jours
Les chefs d’États ont souvent été attirés par les sciences occultes, en particulier par les astrologues et autres devins qui excellent dans l’art de prévoir l’avenir. Cette donnée mystique a toujours été très présente en Russie où les phénomènes irrationnels ont maintes fois exercé une influence déterminante sur des événements majeurs. Ce constat est analysé par Vladimir Federovski dans un livre passionnant qui nous fait revivre certains épisodes capitaux de l’histoire de l’ancien Empire des tsars.
Cet écrivain russe de renommée internationale, qui a été également un diplomate de haut rang au moment des grands bouleversements à l’Est, nous révèle ainsi que Boris Eltsine n’a jamais pris une décision importante sans avoir consulté son garde du corps et confident, Alexandre Korjakov, avec lequel il effectue tous les trimestres une cure médicale dans la station balnéaire de la mer Noire à Sotchi. C’est dans ce lieu de villégiature que s’accomplit le rite des banyas, les fameux bains russes qui sont censés stimuler la vivacité intellectuelle des dignitaires du régime : Raspoutine s’y complaisait avec le tsar et y appréciait la compagnie des dames ; Staline s’y reposait avant de prendre une initiative importante, et Brejnev y était toujours accompagné de sa célèbre guérisseuse Djouna. Celle-ci fut surnommée la « sorcière du Kremlin », en raison de ses dons de magnétisme qui auraient influé sur l’attitude politique du numéro un soviétique de l’époque.
S’appuyant sur des archives inédites, Vladimir Federovski nous décrit également les délires légendaires et sanguinaires d’Ivan le Terrible, dont la politique fut largement inspirée par les prophéties de moines et de médiums de toute espèce. Le tsar eut d’ailleurs comme conseiller le plus proche un astrologue d’origine hollandaise qui lui prédit la révolte de Novgorod et lui prôna l’alliance de la Russie avec l’Angleterre. L’énigme d’Alexandre Ier est traitée avec le même souci de précision historique. Pour l’auteur, celui que l’on a appelé le « tsar des tsars » a toujours été tenté par l’univers spirituel qui l’aurait finalement incité à abandonner son trône en pleine gloire pour se retirer du monde et vivre en ermite, caché au cœur de la Sibérie, sous le nom de Fedor Kouzmitch.
Il paraît difficile de traiter des aspects les plus insolites de l’histoire russe sans évoquer le personnage troublant de Raspoutine, qui fut à la fois un aventurier de génie, un guérisseur de talent, un prophète fascinant et un orateur séduisant. Toutes ces qualités exceptionnelles ont littéralement envoûté le couple impérial. Le conseiller très spécial de Nicolas II en vint même « à souffler à l’oreille de son tsar les noms des ministres à nommer ou des fonctionnaires condamnés à tomber en disgrâce ». Ce confident particulièrement influent s’ingéra aussi dans les affaires militaires et dans certains choix stratégiques du pays. Devant son omniprésence, beaucoup d’aristocrates parlèrent d’un complot international dont Raspoutine aurait été l’instrument. Ses inspirateurs étaient, selon eux, tantôt les Allemands, tantôt les sionistes. L’idée d’une conspiration mondiale contre la Russie, qui hanta l’esprit d’Ivan le Terrible, réapparaissait ainsi avec Raspoutine. On la retrouve ensuite chez les bolcheviks qui ont toujours considéré leur nation comme une forteresse assiégée, et plus tard chez les détracteurs de la perestroïka qui qualifièrent Gorbatchev de « chef du complot judéo-maçonnique ».
Comme la plupart des dirigeants du Kremlin, Staline n’a pas échappé à l’influence des conseillers mythiques. Des archives ont notamment fait état de documents signés par Beria (le chef de la police secrète) et consacrés au rôle des sorciers dans la préparation du protocole secret du pacte germano-soviétique. Par ses récits captivants, Vladimir Federovski nous démontre que la Russie n’est pas une nation rationnelle et que le « chamanisme » a exercé une action importante dans l’histoire du pays de Dostoïevski. Cet ensemble de pratiques mystiques, qui font appel aux esprits de la nature et qui comportent des techniques de guérison et de magnétisme, reste enraciné dans les mœurs populaires de la Russie où officient toujours des centaines de milliers de « voyants ». Pour de nombreux observateurs, l’ouvrage étonnant de Vladimir Federovski donne les clés de l’énigme russe. Celle-ci s’appuie souvent sur des personnages plutôt maléfiques, mais toujours fascinants, qui tournent traditionnellement autour des hommes du pouvoir. ♦