L’Europe et toute ses migrations
Depuis l’effondrement des régimes communistes et la montée du « fondamentalisme » dans le bassin Méditerranéen, la question des migrations se pose en termes nouveaux et la plupart des États européens ont pris des mesures pour réglementer l’accès à leurs territoires des réfugiés et des demandeurs d’asile. Toutefois, on est en droit de s’interroger sur la pertinence d’une politique exclusivement « sécuritaire » pour contenir les pressions démographiques des pays sous-développés et on peut douter que l’érection de barrières, qui tendent à perpétuer économiquement et socialement les vieux clivages Est-Ouest, s’accorde avec la logique de l’unification européenne telle qu’elle se reflète dans le traité de Maastricht.
Quelle que soit l’opinion que l’on professe en la matière, le phénomène de l’immigration dans les pays prospères de l’Occident et les mouvements migratoires provoqués par la décomposition de l’Union soviétique et le déchaînement de la violence dans la péninsule Balkanique ne peuvent laisser indifférent si l’on se soucie du maintien et du rétablissement de la paix sur notre continent.
Un groupe de travail du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) de la Fondation nationale des sciences politiques, animé par Anne de Tinguy et Catherine Withol de Wenden, se consacre depuis 1991 à l’étude des « migrations Est-Ouest en Europe » et ce recueil de textes présente une synthèse des conclusions auxquelles il est parvenu. On y trouvera aussi des monographies sur la situation qui prévaut dans quatre pays d’Europe occidentale et en Europe de l’Est, ainsi que des informations utiles sur les politiques d’intégration appliquées dans quelques pays d’immigration, anciens ou plus récents. L’ouvrage s’achève par des considérations de type prospectif qui mettent en évidence le rôle de l’imaginaire dans les motivations des migrants et plaide en faveur d’une politique de coopération avec les pays de départ afin de réduire le nombre des « réfugiés économiques » et l’ajuster aux capacités d’accueil des pays de destination.
Les dimensions d’une note bibliographique ne permettent pas de suivre dans tous ses méandres une démonstration qui se développe avec une méthode rigoureuse et prend appui sur des informations fiables. On notera seulement que tous les États européens ont une perception aiguë des risques liés à des mouvements migratoires massifs et qu’ils ont pris des dispositions pour s’en prémunir, en renforçant les contrôles aux frontières et en organisant le refoulement des intrus en situation irrégulière dans les pays de transit qui constituent, de ce fait, un glacis protecteur. En revanche, force est de constater que les réponses nationales aux défis de l’immigration sont très hétérogènes et que les vicissitudes du régime institué par les Accords de Schengen de 1985 ne laissent pas bien augurer de l’avenir d’une politique commune dans ce domaine.
Il faudra donc que les États s’accommodent des flux migratoires en Europe et s’efforcent de les endiguer en tenant compte des exigences d’un marché du travail flexible et du respect des droits de l’homme. À cet effet, le repli sur une forteresse entourée d’un glacis de sécurité n’apparaît pas comme une solution optimale, et une politique de développement fondée sur la coopération avec les pays d’Europe centrale et orientale et avec les pays méditerranéens ouvre des perspectives plus prometteuses. Sur tous ces points, on trouvera dans ce livre des réflexions et des suggestions stimulantes, même si certains jugements sont trop abrupts et tendent à sous-estimer la nécessité d’une réglementation stricte de l’immigration. On peut regretter aussi que dans l’appréciation des politiques nationales, le blâme et l’éloge ne soient pas toujours distribués équitablement. Cependant, ces réserves mineures n’entachent pas la qualité des travaux réunis dans ce volume, et nous formons le vœu que leurs auteurs soient entendus par les décideurs, car l’avenir de la construction d’une Europe solidaire dépend d’une solution satisfaisante du problème des migrations sur notre continent. ♦