La libération de la France, juin 1944-janvier 1946
En ce cinquantenaire, le choix d’un tel sujet ne brille pas par l’originalité et grande paraît l’ambition affichée de « devenir l’ouvrage de référence en la matière ». À défaut d’exclusivité, le qualificatif semble pourtant mérité.
Sur seize chapitres, neuf sont dus à la plume de quatre collaborateurs (sans jeu de mots), dont trois femmes qui ont publié notamment de nombreuses études sur le drame juif. On discerne d’ailleurs aisément les domaines préférés de chaque auteur : juridique, politique, diplomatique, psychologique… Malgré d’importants passages descriptifs – souvent émouvants comme le récit du « retour des absents », des inégalités de traitement qui l’accompagnèrent, des problèmes logistiques qu’il souleva, des difficultés de réinsertion qu’il provoqua –, l’équipe a fort judicieusement évité de procéder à une réédition supplémentaire de la chronologie événementielle. Peu de révélations fracassantes ; ne fera vraiment de découvertes que le lecteur qui n’a jamais entendu parler de Brasillach ni de Roi-Tanguy… ou encore celui qui pense que Montréal est la capitale du Canada (page 233). Chacun, s’attardant sur tel ou tel aspect selon son tempérament, son passé ou ses convictions, trouvera matière à approfondissement et à réflexion. On insiste ici, par thème, sur le jugement et la synthèse en s’appuyant sur des sources abondantes et variées et en détaillant parfois des domaines particuliers, comme l’évolution des droits de la femme au chapitre 11. Relevons aussi les excellents portraits de personnalités comme Frenay, Bidault ou Philip.
Avouons qu’un début mené tambour battant et ponctué d’affirmations abruptes du genre : « La France est livrée aux reîtres » (page 18) nous a fait douter un instant du caractère serein et objectif de cette présentation. Crainte vaine : l’intérêt essentiel du livre semble au contraire reposer sur la mise en évidence des dilemmes et clairs-obscurs qui se cachent derrière l’image d’Épinal. Après la série des « commémorations réductrices et créatrices de mythes déformants », cette sévère opération-vérité ne manque pas de rappeler ce qui a pu ternir le tableau : la double lutte, difficile et acharnée, menée par de Gaulle à la fois contre les préventions de Roosevelt et contre les tentatives communistes de prise du pouvoir, mais aussi la démesure du personnage ; les bombardements alliés « dévastateurs et meurtriers » et le comportement pas toujours exemplaire de libérateurs à l’argent facile ; les dangers d’une mobilisation prématurée des maquis, à côté de l’afflux de ceux qui « prirent le train en marche », comme dans ce Comité national réunissant – énoncé savoureux – les écrivains de la Résistance, « ainsi que ceux qui désirent vivement être considérés comme tels » ; les côtés burlesques de la libération de Paris ; les bavures de l’épuration et l’impression de malaise laissée par des procès parfois bâclés, menés par des magistrats eux-mêmes compromis ; l’assimilation précipitée de Vichy et d’un patronat censé avoir saisi l’occasion d’une revanche sur le Front populaire ; les difficultés de l’amalgame à la 1re Armée, dont les mérites et les peines furent largement éclipsés par d’autres gloires ; la déception de ceux qui avaient pensé que la situation matérielle s’améliorerait comme par l’effet d’un coup de baguette magique ; les Alsaciens d’Oradour…
Loin donc du « lyrisme excessif qui prend des libertés avec la vérité historique », la rigueur est présente (même si on peut s’étonner que le Haut commandement allemand ait perdu la tête le 6 juin au point de se tromper dans le genre des noms, page 260). Qu’il soit permis à un témoin d’apporter sa modeste contribution ; le 26 avril 1944, une catégorie non énumérée page 35 se trouvait à l’Hôtel de Ville : les écoliers du IVe arrondissement arrachés à leurs chères études et conduits sur les lieux en colonne par trois. Ils n’entendirent pas un traître mot, même à courte distance, du discours du maréchal, les micros ayant été coupés ou sabotés.
Voici, sans prétendre effectuer de classement, un livre sérieux tout en étant facile à lire, sachant, à partir de faits notoires, élever le débat et montrer que la Libération « ne fut pas un long fleuve tranquille ». C’est aussi une leçon de mesure et de modestie nationale à propos d’un épisode qu’un demi-siècle ne suffit pas encore à évaluer avec le recul voulu. ♦