Le pacifisme en France
Quel défilé ! Dans ce panorama qui, après une courte introduction, débute en 1815, tous nos grands hommes, de la politique, mais aussi de l’université, des arts ou de la littérature, ont arboré un jour ou l’autre l’étiquette pacifiste. D’Alain à Zola, l’abondant index alphabétique qui clôture l’ouvrage le démontre ; Raymond Aron et Marcel Déat ont signé les mêmes manifestes.
À part pour quelques enragés convaincus comme Lecoin, l’ennui est que cette attitude fut épisodique. Pour s’en tenir au XXe siècle, certains ont suivi un parcours tout personnel, d’une extrémité à l’autre de l’éventail, comme Gustave Hervé appelant en 1901 les soldats à « planter dans le fumier de la caserne le drapeau du régiment » et se faisant en 1914 le chantre du patriotisme. La plupart ont toutefois accompagné l’évolution de partis politiques ballottés dans les remous de la situation internationale et ont fait dépendre leurs convictions du moment de ce qui se passait à Moscou, Berlin ou Madrid. L’illustration la plus frappante est fournie par les allers-retours conjoncturels des Communistes : souscrivant au Congrès de Tours à la condamnation du « social-pacifisme hypocrite » dictée par la IIIe Internationale, les voici mettant la crosse en l’air pendant la campagne du Rif, chantant la Marseillaise en 1935 (tandis qu’Aragon cessait de « concilier l’armée française dans sa totalité » pour se transformer en Déroulède), embarrassés par le pacte germano-soviétique, pour finir en résistants l’arme au poing à partir de 1941. Pendant ce temps, de Jaurès à Blum et de Guesde à Mollet, les Socialistes étaient agités entre leurs chers « courants ». Mêmes zigzags à droite : jusqu’au-boutistes en 1918, « applaudissant à la famine allemande » (L. Daudet) en 1923, des aristocrates, des hommes d’affaires, des catholiques recherchent ensuite le contact outre-Rhin ; sans éprouver initialement de sympathie pour le régime nazi, une frange penche vers la compréhension, voire l’entente, reçoit des subsides de Mussolini, copine avec Abetz et ne peut s’empêcher de ressentir la même fascination que Brasillach à Nuremberg. Dès 1936 et les Jeux olympiques de Berlin, la liste des futurs collaborateurs est à peu près établie, rejointe par certains socialistes munichois plus soucieux d’anticommunisme que d’antifascisme. L’impression finale du lecteur est que le pacifisme français a été quelque peu tactique.
Il semble également perdre de sa pureté lorsqu’il se confond de trop près avec l’antimilitarisme. Même si les deux positions sont liées, diriger « nos balles contre nos propres généraux » ne peut après tout qu’encourager l’adversaire plutôt qu’éviter la guerre. Peut-on assimiler cette horreur de la discipline et de la hiérarchie, exprimée souvent en termes orduriers, à de l’authentique pacifisme ?
Voilà les réflexions que nous a inspirées le livre de Jean Defrasne. Elles ne figurent pas à la lettre dans le texte. Soucieux sans doute d’éviter les interprétations, attaché à la rigueur historique, l’auteur empile les brefs alinéas descriptifs sans passer au jugement ni à la synthèse. En particulier dans les chapitres 4 à 8 relatifs à la période de l’entre-deux-guerres, l’étude par famille politique permet de mieux rendre compte des itinéraires sinueux de chacune, mais amène à retrouver à longueur de page les mêmes noms, les mêmes citations, le même titre du Canard enchaîné (pages 145 et 169), le même PC « affaibli par la répression » (181 et 201), le même Briand mettant « la main au collet » de l’Allemagne (109 et 156). Un dernier chapitre fourre-tout n’arrange pas les choses de ce point de vue.
Que tirer de ce pacifiste et savant pointillisme ? On constate l’apparition périodique de phases où la guerre semble ne plus avoir sa place : « vice du passé qu’il faut ensevelir dans l’oubli » vers 1850, lorsque se développe la société rationaliste et industrielle ; refoulée dans l’armoire aux souvenirs sanglants à la fin des années 20 par l’« esprit de Genève » et Locarno ; de nos jours peut-être une fois de plus après la chute du mur… en espérant que le réveil ne sera pas du même acabit que les fois précédentes. Une fois les hostilités déclenchées, la tendance à l’union sacrée, enthousiaste ou résignée prévaut ; le pacifisme est vite qualifié de défaitisme. Au total, des élans louables (comme dit fort justement Defrasne : « Il y a quelque chose d’émouvant dans ces efforts généreux »), mais un mouvement trop divisé, trop intellectuel, trop alourdi de tendances idéologiques parasites, pour faire taire le « cocorico » qui sommeille au fond des gosiers gaulois. ♦