Droit et politiques nucléaires
S’il est une branche bien particulière du droit, c’est assurément le droit nucléaire ; du fait de ses deux aspects, guerrier et pacifique, et surtout de son caractère technocratique, ce domaine est un « quasi-monopole de l’exécutif ».
En l’« absence de tout débat parlementaire approfondi », face à une Constitution « muette », à un Conseil d’État qui « adopte le profil le plus bas » et à un appareil judiciaire qui « s’interdit de prendre parti sur le fond », l’auteur insiste sur la toute-puissance des experts au détriment d’une démocratie qui « connaît ici ses limites ». Il en résulte une succession « erratique » de textes, un « déconcertant mélange de matières… où fleurit une abondante et minutieuse réglementation et de matières dominées par quelques larges principes… d’autant plus inopérants qu’ils sont généraux ».
Appuyée sur une table des matières extrêmement détaillée, la construction de l’ouvrage (civil-militaire-international) a « le mérite d’être tout à la fois d’une indiscutable logique et de caractériser avec une grande clarté le contenu du droit nucléaire actuel » (on ne peut donc que s’incliner !). Elle est plus limpide que le texte lui-même, toujours correct et précis, mais dense, voire compact (cette « dialectique juridique condamnée à se développer dans la dimension du donné positif antérieur » de la page 92), alourdi de quelques répétitions (l’objet du décret du 13 mars 1973, pages 136 et 138) et émaillé de néologismes plus ou moins heureux jusqu’à la nature « polificatrice » de la page 336.
Ces « négatons » baladeurs mis à part, le lecteur perçoit parfaitement la différence majeure entre nucléaire civil et militaire. On est frappé chez le premier par le petit nombre d’acteurs, évoluant d’ailleurs dans une prolifération institutionnelle, poursuivant des objectifs ambitieux au rythme de plans richement dotés, accélérés par les chocs pétroliers et auxquels la gauche au pouvoir n’a fait subir qu’un léger « coup de frein ». Chez le second, personnalisé à l’extrême avec une voie hiérarchique ultra-courte et un Conseil de défense « davantage organe de réflexion que lieu de décision », Pac voit le retour du « chef » en tant que maître de l’atome, « la machinerie jupitérienne… exemple le plus achevé de pouvoir absolu qui puisse se concevoir ». Dans ces petits additifs intitulés « Pour aller plus loin » qui complètent chaque chapitre et qui méritent le plus souvent une lecture attentive, l’auteur décrit cet « attachement jubilatoire » de nos présidents successifs à la dissuasion nucléaire et cette « griserie » qui les saisit, « dès lors que leur appréhension, parfois laborieuse, des problèmes de la chose nucléaire leur a révélé son caractère vital ». Il ne cherche pas toutefois à ébranler les piliers du temple ; il justifie au contraire, au nom de la cohérence, aussi bien l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct que le recours éventuel à l’article 16.
La société nucléaire mondiale parvient de son côté au « temps du monde fini », car l’accident nucléaire est forcément transfrontière. Tchernobyl, c’est au fond une menace ressentie jusque-là comme potentielle qui se concrétise, l’équivalent du Titanic pour la sécurité en mer ou de Bhopal pour l’industrie chimique, à la différence que notre siècle aura inventé le télé-accident ! Les relations stratégiques sont dominées par les États nucléaires, membres par ailleurs du Conseil de sécurité et « solidaires devant le désastre ». Deux types de procédures sont évoqués : la « nucléarisation contrôlée » par accords bilatéraux entre les deux Grands, la « dénucléarisation » par conventions multilatérales.
Très complet, l’ouvrage fournit aussi bien une intéressante étude du « droit du risque » (distinct de celui de la production) que, plus loin, la revue des institutions internationales ou celle des nombreux traités qui ont jalonné les progrès du désarmement. L’aspect de la protection des installations, tant civiles que militaires, n’est toutefois pas abordé. Or, même si les modalités d’application sont exclues de la littérature ouverte, l’existence d’aires de surveillance et de moyens adaptés semble bien relever d’une « politique », tandis que les interdictions d’accès ou les vérifications d’identité liées sont apparemment du domaine du « droit ».
Parfaitement documenté, cet ouvrage sérieux couvre un espace distinct de la technique, de l’économie ou de la stratégie. Il ne fait donc pas double emploi. Il ouvrira des horizons inattendus à ceux qui n’ont fait que frôler le nucléaire ; pour les praticiens, il sera un appel à sortir de leur spécialité pour saisir l’ensemble du problème, à l’échelle nationale et internationale. ♦