Histoire de la stratégie militaire depuis 1945
L’auteur est bien connu des lecteurs de la revue. Il a publié dans la même collection ou chez d’autres éditeurs un certain nombre d’ouvrages consacrés aux problèmes de l’armement. On peut, en particulier, citer : Les armes, Les industries d’armement, Histoire de l’armement depuis 1945, La réglementation des armes, Armements et conflits contemporains.
Dans le présent ouvrage, l’auteur brosse initialement une vue d’ensemble de la stratégie en s’interrogeant sur le sens des termes et en clarifiant la définition qu’il convient de leur attribuer. La stratégie militaire ne constitue qu’un élément de la stratégie globale, dominante, à laquelle elle est subordonnée. Elle ne saurait être confondue avec la tactique. Les trois niveaux de responsabilité, politique, stratégique, tactique, sont nettement distingués, exemples et schémas à l’appui, d’une manière très didactique. L’auteur analyse brièvement les sources historiques de la stratégie, de Sun Tse à Machiavel, Jomini, Clausewitz, jusqu’à Castex, Beaufre, Gallois et « bien d’autres », selon ses propres termes. Il examine ensuite ses mutations depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale en décrivant la genèse du concept de dissuasion, la stratégie d’action extérieure, « réponse politico-militaire à une situation d’urgence mettant en œuvre pour un temps très court des moyens toujours limités ». Il étudie les rapports étroits existant entre stratégie et technologie : celle-ci est « un théâtre d’opérations, un véritable champ de bataille », et suivre son évolution est une tâche vitale pour se garantir contre toute surprise. Il nous montre enfin que la stratégie maritime est une composante majeure de la stratégie militaire générale. L’espace « sous-glaciaire » constitue un nouvel espace stratégique jouant un rôle capital dans l’équilibre mondial en raison de la sécurité qu’il offre au système de dissuasion des forces océaniques.
Après cet exposé introductif, l’auteur passe en revue, en quatre chapitres d’une densité remarquable, les stratégies américaine, soviétique, chinoise et française. Partant des aspects géostratégiques de chacun de ces grands ensembles, il décrit les différentes orientations ayant marqué la période allant de 1945 à nos jours et il esquisse les perspectives d’évolution envisageables. De 1945 au « grand tournant » des années 1989-1990, l’histoire connaît des bouleversements d’une ampleur et d’une rapidité inouïes se traduisant par des surprises stratégiques et technologiques de taille (invasion de la Corée du Sud en 1950, lancement du premier satellite Spoutnik en 1957, crise des fusées de Cuba en 1962, invasion de l’Afghanistan en 1979, accession au pouvoir de Gorbatchev en 1985). La pensée stratégique enregistre un exceptionnel renouveau. Les États-Unis enrôlent des penseurs de tous les horizons et de toutes les disciplines pour élaborer de nouveaux scénarios de guerre et maximiser les choix stratégiques. Après une longue période de vide intellectuel, la France renoue avec la grande culture stratégique. La doctrine dominante est constituée par le concept de dissuasion.
Subitement, en 1989, l’histoire de la stratégie rebondit avec le bouleversement du contexte géopolitique mondial. À une situation figée pendant des décennies par l’équilibre de la terreur succède « une situation instable, incontrôlable et imprévisible, un vide stratégique ». La guerre sévit dans le Tiers-Monde, en Somalie, en Bosnie-Herzégovine, au cœur même de l’Europe où elle avait disparu depuis plus de quarante ans. Les conflits qui surgissent se situent hors des schémas connus. Ils ne sont pas « la poursuite de la politique par d’autres moyens ». Ils n’obéissent à aucune règle, à aucune logique politique. Ils ne connaissent aucune frontière. Il faut « penser la guerre autrement ». La réflexion stratégique s’oriente vers d’autres concepts : la « non-bataille », la stratégie du « zéro mort », celle des « frappes sélectives », celle de la « paralysie » totale du perturbateur interdit d’agir par la destruction de ses centres nerveux, dans la guerre du Golfe, où la victoire est obtenue au moindre coût humain (« no more Vietnam »). L’Occident se trouve aujourd’hui à nouveau confronté au déchaînement de la violence. La mise en œuvre des forces de l’ONU pour le règlement de ces conflits se révèle un tragique échec. « L’Organisation internationale et les États intervenants, privilégiant les non-choix, sont aujourd’hui voués à la passivité, au jeu diplomatique et à la seule détermination verbale, réduisant à l’impuissance des militaires prêts à exercer leur métier ». Le droit sans la force est une redoutable illusion.
Dans sa conclusion, l’auteur nous livre la thèse qui sous-tend l’ensemble de ses réflexions : nous sommes entrés dans une nouvelle ère où « la stratégie est à nouveau enlisée ». Écrit dans un style précis, alerte et agréable, d’un accès facile, abondamment documenté, ce petit ouvrage constitue une véritable référence. Sa lecture ne pourra qu’enrichir la réflexion de tous ceux qui sont passionnés par l’étude et la compréhension des problèmes stratégiques contemporains. ♦