Histoire de la Louisiane française
Après une série africaine bien connue et appréciée, Bernard Lugan a traversé l’Atlantique. En fait, il n’en est pas à son premier voyage, puisque la bibliographie signale en œuvre de jeunesse un mémoire de maîtrise relatif au Mississippi daté de 1970.
L’historien s’en donne à cœur joie. Il a pillé les archives. On ne peut l’accuser de se complaire dans les généralités ; ce n’est plus de « l’événementiel », c’est du pointillisme. On apprend le nombre de canons armant le Saint-Henri, celui des anspessades entrant dans la colonne commandée par Monsieur de Longueil et celui des épileptiques rapatriés sanitaires entre 1743 et 1756. Il est vrai que les expéditions et les combats ne mettaient en ligne que des effectifs minimes. Les compagnies comportaient une trentaine d’hommes (celle d’Hauterive avait-elle vraiment quarante-deux officiers ?). Le fort de la rivière Saint-Joseph était tenu par cinq soldats, et huit Français suffirent pour dégager le Détroit d’avant Ford en 1712. La personnalité des chefs n’en prenait que plus de relief (et leur rivalité que plus d’acuité !). Parmi eux émergent la figure de Cavelier de la Salle et celles, moins connues, des frères Le Moyne. Des biographies expresses situent ces personnages hors du commun.
En annexe, vingt-neuf forts sont décrits par le menu, avec dimensions de la poudrière et hauteur de la palissade. Apparaît également la liste des innombrables tribus indiennes avec lesquelles nous entretînmes des rapports subtils et changeants et où se distinguent les terribles Iroquois dont la francophilie n’était pas la qualité dominante. On finirait ainsi par se perdre dans les rapides de la rivière Illinois ou dans les turpitudes des Chicachas si une excellente introduction et une non moins excellente conclusion ne venaient, ainsi que le chapitre 6, procurer une vue d’ensemble et pondérer les choses.
La précision des détails n’empêche d’ailleurs pas le lecteur de vite comprendre le caractère conflictuel de la situation. Les treize colonies de la tête de pont britannique, « coincées entre les Appalaches et l’Atlantique, se sentaient à l’étroit ». Les possessions françaises du Canada et de la Louisiane, reliées par la « charnière » de la voie de l’Ohio, puis par le gigantesque cours du Mississippi, bloquaient leur extension vers l’Ouest. Lugan rappelle opportunément que, avant de faire des courbettes à Vergennes, Franklin fut en 1754 « le plus ardent partisan de la guerre » (contre la France) et que Washington fut la même année l’instigateur de l’assassinat peu glorieux du chevalier de Jumonville. Après la guerre d’indépendance, « la générosité et le désintéressement français furent remarquables » ; le traité de 1783 ne nous accorda que des miettes. De toute façon, la partie était perdue. Isolée, parfois carrément abandonnée (pas un seul bateau avec la France dans les deux années 1709-1710). démesurée (vingt et un des actuels États des États-Unis), la Louisiane française était condamnée par le rapport des forces, malgré les exploits de nos troupes et de leurs alliés sauvages. Bonaparte était conscient de l’enjeu : « Je connais le prix de ce que j’abandonne… j’y renonce avec un vif déplaisir ». Exit la Louisiane française, finie l’« épopée sculptée par des missionnaires, des coureurs des bois et par des officiers perdus et oubliés dans les immensités du Nouveau Monde ». ♦