Le poing de Dieu
Un « thriller » sur la guerre du Golfe ? Pas sérieux, dira-t-on, et l’on se trompera. Frederick Forsyth, maître britannique du roman d’espionnage, est un vrai professionnel. Sa documentation est irréprochable et tout juste prolongée par ce qu’il faut de fiction, et qui est très reconnaissable. Le livre s’ouvre sur l’assassinat véridique, à Bruxelles le 22 mars 1990, de Gerry Bull, concepteur du projet Babylone, supercanon de Saddam Hussein ; mais, et voici la fiction, lorsque la guerre se déclenche, le supercanon, tapi dans un repaire indétectable, est prêt à lancer l’unique arme nucléaire irakienne, baptisée « Poing de Dieu ».
Cela étant posé, l’auteur vous fait vivre la guerre en direct. Il vous met aux commandes d’un F-15 américain ou d’un Mig-29 irakien qui tente de se réfugier en Iran ; il vous fait partager les angoisses du général Schwarzkopf dans « le trou noir », son PC de Rïyad ; vous serez parachuté de nuit, avec les « chuteurs opérationnels », en territoire ennemi ; vous frémirez d’horreur devant les pratiques des services secrets de Saddam Hussein et apprécierez les coups tordus du Mossad israélien ; vous assisterez même, à Bagdad, aux réunions du Conseil de la révolution, dont les membres choisis s’observent sous le regard glacé du tyran.
Sans que l’on puisse parler de révélations, Forsyth fait une relation fidèle et complète du déroulement de la crise et de la bataille. Citons pêle-mêle les griefs de l’Irak à l’égard du Koweït, les inquiétudes des Alliés face à la menace chimique, l’attaque à grands risques des pistes d’envol par les Tornado britanniques, la chasse aux Scud et l’impuissance relative des Patriot lorsque les missiles bricolés se brisent en morceaux à l’arrivée sur l’objectif, la maîtrise irakienne du camouflage et des leurres, et enfin, ce qui fournit l’argument du livre, la dramatique absence des renseignements d’agents, que toute l’électronique du monde ne saurait remplacer. Des Français on ne parle guère : vingt lignes, et fort méchantes pour M. Chevènement.
Brodé sur ce fond d’histoire, le scénario est, comme il se doit, époustouflant. On ne peut, sans trahir le genre, raconter un « thriller ». Sachez seulement que le héros, major anglais au SAS (Special Air Service), est d’abord infiltré au Koweït occupé pour y animer la résistance, puis « planqué » à Bagdad même pour y traiter une mystérieuse et miraculeuse « source » irakienne. On ne vous en dira pas plus ici, vous recommandant pourtant, si vous avez la larme facile, la très triste et très touchante histoire de la pauvre Edith Hardenberg, secrétaire impeccable de Herr Gemütlich, banquier viennois. ♦