La politique extérieure du Japon
Dans la « montée en puissance » d’une durée relativement courte de la politique extérieure du Japon d’après-guerre, François Joyaux, qui n’en est pas à son premier livre sur l’Extrême-Orient, distingue quatre étapes d’environ dix ans. Il en résulte quatre parties de trois chapitres chacune, une structure qui fait penser à l’organigramme d’un régiment, nippon ou autre.
À partir de l’état de quasi-dépendance institué par le traité de San Francisco de 1951, la continuité de l’action est impressionnante, mais aussi sa souplesse et le pragmatisme qui l’imprègne. Il doit être assez pratique, non de recevoir des bombes atomiques, mais de pouvoir ainsi redémarrer de zéro et recouvrer progressivement une stature internationale sans être empêtré dans des accords périmés ou d’antiques fidélités et sans avoir à se soucier de la sécurité assurée par un puissant protecteur. Une fois réglés les problèmes de réparations, reconnues (au moins du bout des lèvres) les responsabilités guerrières et réalisée la « normalisation » à droite et à gauche, le Japon va « s’affirmer » (mot-clé du livre) avec opiniâtreté.
Il s’agit d’abord de se libérer peu à peu des aspects les plus pesants de la tutelle américaine, sans scandale ni rupture, mais sans concéder plus qu’il ne faut sur les assez nombreux points de friction. Quelle situation surprenante que de voir les États-Unis s’impatienter de la lenteur du réarmement japonais 20 ans après Pearl Harbor ! Les options prises sont nettes et logiques : tout en ne négligeant aucun voisin (même pas la Corée du Nord ni le Vietnam), tout en n’oubliant pas un instant sa petite Alsace-Lorraine des Kouriles, le Japon choisit Pékin au détriment de Taipeh et finit par abandonner le principe d’« équidistance » en adhérant à la clause anti-hégémonique, à la grande fureur des Soviétiques ; il recherche le contact avec l’« Asie blanche » pour gommer le caractère raciste de la défunte sphère de coprospérité ; il n’hésite pas, au nom du dieu « pétrole », à recevoir Arafat à Tokyo. Les marches sont gravies une à une : admission à l’ONU en 1956, passage de l’occupation au partenariat en 1960, premier Livre blanc sur la sécurité en 1970, traité chinois de 1978 (examiné ici avec toute l’attention que mérite son importance), rééquilibrage avec la Communauté européenne à la même époque… Au début des années 1980, on peut admettre que le pays se trouve désormais sur un pied d’égalité avec les Grands de ce monde et parvient à une politique extérieure « globale » personnifiée par Nakasone, déjà directeur de l’Agence de défense en 1970, resté à la barre de 1982 à 1987.
Tout n’est pas réglé pour autant : la position vis-à-vis du nucléaire est marquée par son « ambiguïté ». une certaine « impuissance » face au Proche-Orient est ressentie de façon irritante, l’action à l’égard du Tiers-Monde reste « plus une ambition qu’une réalité » ; les magnétoscopes contrarient beaucoup de partenaires et le siège permanent au Conseil de sécurité figure toujours au chapitre des vœux pieux. Le jeu n’est pas terminé, les ambitions ne sont pas toutes satisfaites et c’est pourquoi la quatrième partie du livre, débutant en 1982, ne comporte pas, volontairement, de date finale. Comme une fille richement dotée, le Japon se sent courtisé surtout quand il s’agit de payer. Être le « premier prêteur mondial » et se trouver avec un petit 1 % du PNB au 6e rang des budgets de défense permettent, tout en se dispensant de donner des leçons à l’univers, de se faire prendre au sérieux.
Sérieux est le mot qui vient à l’esprit tout au long de la lecture de ce petit ouvrage parfaitement clair de la collection « Que sais-je ? » Les héritiers des kamikazes semblent bien cartésiens. La culture et le talent d’exposition de l’auteur contribuent à coup sûr à rendre leur parcours intelligible. ♦