Ramses 2015 (rapport annuel de l’Ifri)
Ramses 2015 (rapport annuel de l’Ifri)
Chaque année, le rapport de l’Ifri change de thème. Celui de 2015 analyse le monde au prisme de « l’émergence ». Le concept désigne la capacité d’un État submergé à rejoindre à la surface ceux qui flottent.
La première phrase de Thierry de Montbrial est un euphémisme : « La marche du monde est préoccupante ». Pourtant, il ne traite guère que d’économie et de politique, système monétaire et financier, mouvements migratoires. L’Ukraine est, pour lui, la crise majeure. Le Moyen-Orient l’inquiète aussi, sans que le fond culturel soit franchement abordé : parler de l’islam en vérité est devenu, chez nous, impossible. La conclusion du directeur général de l’Ifri est apocalyptique : le cours « vertigineux » de la révolution technologique que nous vivons exige que nous nous y adaptions « pour que l’aventure ne se termine pas en désastre ».
Les perspectives ainsi tracées, le rapport passe en revue les « émergents économiques », avec un scepticisme évident. Si François Nicaullaud est confiant dans l’avenir de l’Iran (mais qui le débarrassera de ses mollahs ?), il ne l’est pas sur celui des BRICS, regroupement quelque peu arbitraire. La croissance indienne est brouillonne. La Russie, loin d’émerger, continue à plonger, sans que nous puissions répondre à la question : qu’y a-t-il dans la caboche à Poutine ?
La deuxième partie met en parallèle émergents et émergés. La comparaison n’est pas en faveur des premiers, sauf – ceci dit par antiphrase – dans le domaine nucléaire militaire, où Corentin Brustlein s’inquiète de la prolifération.
La dernière partie du rapport est régionalement ciblée. On y voit apparaître, fût-ce en creux, l’islam. Marc Hecker traite du jihadisme, Denis Bauchard de l’opposition millénaire des sunnites et des chiites, Mansouria Mokhefi de la Tunisie, moins tranquille qu’on ne l’a connue. Anne de Tinguy nous parle de l’Ukraine et Jacques Mistral du système monétaire, voyant, non sans raisons, le DTS comme « monnaie synthétique » appelée à détrôner le dollar. On termine par un sujet inattendu, traité par un jésuite (Pierre de Charentenay) : le pape François, « nouvel acteur sur la scène mondiale ».
Les émergents, pour y revenir, sont encore loin de l’émergence. Est-ce, pour eux, si mauvais et faut-il leur souhaiter de nous rejoindre à la surface, où la pétole (pour les marins, le calme plat) règne ? Lorsque les Yougoslaves s’étripaient en Yougoslavie, le regretté Jean Baudrillard eut l’un de ses mots terribles : « Eux sont vivants et c’est nous qui sommes morts ».