Military history—Lack of French Strategic Vision: the otched Peace of 1919
Histoire militaire - Absence de vision stratégique française : vers une paix bâclée en 1919
S’il est établi en principe depuis Clausewitz que le commandement militaire soit subordonné au pouvoir politique, cette règle a un corollaire : en temps de guerre, le commandement militaire est pleinement responsable de la conduite des opérations, alors que le pouvoir politique, quant à lui, l’est de la conduite générale de la guerre, distingo entre stratégie opérationnelle et stratégie générale. C’est notamment lui qui fixe les buts de guerre (1). Lorsque l’on se reporte à la situation de la France durant le premier conflit mondial, on est forcé de constater que ce principe a été écorné et que, faute de directives précises, le commandement, incarné dans le Grand Quartier Général (GQG), notamment sous le commandement du général Joffre, a été forcé de se fixer lui-même le cadre dans lequel l’action militaire devait s’inscrire. Cela n’est pas dû à la nature des institutions qui n’est pas en cause, mais aux conditions mêmes d’entrée en guerre, à la définition pour le moins floue des buts de guerre affichés par le gouvernement, ainsi qu’à la pratique gouvernementale. Les conséquences en seront funestes : outre une omnipotence initiale du GQG que les gouvernements successifs s’efforceront de réduire, de nature à entraîner des malentendus entre le commandement et le pouvoir, surtout, l’absence de politique claire et affichée ouvrira un boulevard au président Wilson sur les positions duquel le gouvernement français sera bien forcé de s’aligner à compter du début de l’année 1918, ce qui conduira aux désastreux traités de 1919 et de 1920.
L’entrée en guerre de la France est due, tout le monde en convient, à la rigidité des accords internationaux qui la lient à ses alliés, notamment russes. Même s’il semble que le président Poincaré, alors en visite à Saint-Pétersbourg au moment de la crise austro-serbe, n’ait pas fait beaucoup d’efforts pour modérer son allié russe et tenter ainsi de circonscrire la crise de juillet 1914 au niveau régional, rien n’indique que face à la volonté autrichienne, assurée du soutien allemand, ces efforts aient pu être couronnés de succès. Ces rigidités et ces automaticités se retrouvent à un degré encore exacerbé dans les mesures militaires de montée en puissance et de mise sur pied des forces : le cycle mise en alerte, couverture, mobilisation, concentration correspond dans chaque pays à une succession de mesures identifiées qui s’emboîtent les unes dans les autres selon un mécanisme très précis. Si bien que lorsqu’un pays cherche à prendre des mesures conservatoires visant à préserver sa liberté d’action en cas d’aggravation de la tension internationale, il se pose ipso facto en position d’agresseur vis-à-vis de son interlocuteur. C’est à ce « jeu » destructeur que se sont livrés mutuellement les états-majors centraux russes et allemands au paroxysme de la crise à compter du 28 juillet : chaque mesure, même préventive, prise par la Stawka (2) entraînait automatiquement une surenchère de la part de son homologue allemand. De ce « jeu », les politiques en sont pratiquement exclus, les impératifs militaires primant au risque de se trouver surclassé par un adversaire potentiel dès lors qu’il aurait pris de l’avance dans ses mesures de mobilisation et de concentration. C’est la raison pour laquelle le 31 juillet, Joffre a mis toute son autorité dans la balance pour obtenir du ministre de la Guerre, Messimy, la signature sans attendre du décret de mobilisation.
Ce faisant, d’entrée de jeu, nolens volens, même si c’est l’Allemagne qui a déclaré la guerre à la France le 3 août, celle-ci se retrouvait dans cette situation en position de défenseur objectif de la cause serbe, voire de la Grande Serbie. Cela posé, quels étaient ses buts de guerre ? Sinon le retour dans le giron national des « provinces perdues », la France, au moins en 1914, n’en avait pas. Même le retour de Delcassé au Quai d’Orsay dans le cadre du gouvernement d’Union sacrée ne devrait pas permettre de se poser la question du futur ordre européen à l’issue de la guerre, ce qui constitue le véritable enjeu du conflit, et non la dévolution de Metz et Strasbourg.
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