Poutine
Poutine
La Russie, après une décennie de débâcle à l’issue de l’effondrement du système soviétique, est redevenue une puissance à l’ambition clairement affichée, renforcée par des ressources financières abondantes grâce à l’exportation de matières premières, dont principalement les hydrocarbures.
Le retour au premier plan de Moscou est d’abord l’œuvre de Vladimir Poutine. Sa personnalité intrigue tant il contraste avec les générations précédentes, dont Boris Eltsine, son prédécesseur et premier Président de la Russie post-soviétique. Poutine reste une énigme malgré une mise en scène permanente, mais il incarne pleinement cette nouvelle Russie qui inquiète désormais.
Frédéric Pons retrace ainsi le parcours de l’intéressé avec une première partie de carrière d’une normalité toute soviétique, modèle d’une bureaucratie grise et morne comme les plaines. Agent du KGB, en poste à Dresde, au cœur d’une RDA encore plus sclérosée que l’URSS, il est loin de l’image de l’agent fin connaisseur du monde occidental.
C’est bien la chute de l’empire qui va alors changer sa vie en lui permettant de franchir en accéléré tous les échelons du pouvoir, de conseiller du maire de Saint-Pétersbourg à Président, en passant par différents postes auprès du président Eltsine.
À cet égard, le livre regorge d’informations et de témoignages permettant de dresser un portrait plutôt nuancé du dirigeant russe, avec toutefois une certaine empathie.
Le paradoxe est qu’il a réussi à s’imposer au sein du clan Eltsine alors gangrené par une corruption, par une certaine rigueur, contrastant avec le climat délétère qui existait alors à Moscou. Son profil de technocrate sérieux, disponible et dynamique a séduit, y compris en Occident, en donnant une image de modernisme offrant une nouvelle perspective pour la Russie après des années d’incurie. À défaut, le pays va connaître une période de remise en ordre et de rétablissement d’une économie bénéficiant de la vente du gaz sibérien notamment. C’est aussi la remise au pas par Poutine des oligarques, du moins ceux qui crurent parvenir à jouer un rôle politique, en usant de la coercition à leur encontre. Il est un fait que l’enrichissement massif et rapide d’une élite affairiste pose la question d’un système économique encore corrompu aujourd’hui et soutenu par le régime.
Il faut ici souligner l’absence d’évocation par l’auteur de l’emploi de la violence policière dans le fonctionnement de l’état « poutinien ». La mise au pas des médias, la manipulation des résultats des urnes et la répression contre certains opposants sont autant de tâches sur Poutine et sa politique. Les liens entre le pouvoir et les oligarques auraient également mérité quelques approfondissements, en particulier sur les liens financiers.
Cependant, il est indéniable que le dirigeant russe est totalement en phase avec les aspirations de son opinion publique encore traumatisée par la dislocation de l’URSS. Poutine incarne cette « nouvelle Russie » puisant ses origines tant dans la Russie des Tsars, notamment celle de Pierre le Grand – fondateur bâtisseur de Saint-Pétersbourg – que dans l’URSS de Staline qui triompha de l’Allemagne nazie.
Depuis 2008 avec la guerre contre la Géorgie, les ambitions de Poutine se sont progressivement affirmées, avec une stratégie virant à repousser l’« otanisation » des limes russes. En six ans, le bilan est d’ailleurs éloquent et montre clairement le retour d’une Russie voulant effacer l’humiliation du démantèlement de l’empire soviétique. Le budget consacré à la défense a permis une profonde rénovation de l’outil militaire avec des résultats déjà concrets et un activisme opérationnel en hausse visant à se « frotter » à l’Otan.
De même, les JO de Sotchi au début de 2014 ont été l’occasion de montrer ce retour de la Russie comme un acteur central de la scène internationale. L’omniprésence de Poutine pendant la quinzaine olympique était loin d’être anecdotique et lui a permis de capitaliser sur son image de leader moderne d’un pays moderne, quitte à déformer un peu la « réalité climatique » d’une cité plutôt à vocation balnéaire. Sotchi a marqué le dernier rendez-vous avant la crise ukrainienne, et le refroidissement quasi polaire avec l’Occident.
Ce livre est donc non seulement une biographie passionnante – parfois une hagiographie un peu complaisante de Poutine – d’un homme au départ ordinaire. À l’image d’un régime terne et englué dans sa bureaucratie, et aujourd’hui au faîte de sa puissance, populaire en son pays désormais en confrontation directe avec ses pairs occidentaux, mais aussi une histoire de la Russie contemporaine. Poutine et la Russie ne font qu’un. Avec une vision d’une nouvelle Russie aux ambitions désormais fortement affichées, au détriment de l’Occident, quitte à accepter la confrontation. ♦