Strategic Viewx from the Second Tier : The Nuclear Weapons Policies of France, Britain and China
Même s’ils ne sont pas familiers avec la langue de George Washington, nos lecteurs auront compris que ce livre se propose d’analyser les tendances qui se manifestent actuellement dans les politiques des puissances nucléaires de « second rang », c’est-à-dire la France, la Grande-Bretagne et la Chine. Cette recherche a été coordonnée par deux universitaires américains : John Hopkins, de formation scientifique et qui a appartenu pendant trente-deux ans au centre de recherches de Los Alamos, et Weixing Hu, de formation sciences politiques acquise d’abord à Pékin, puis poursuivie à l’institut Hopkins et à l’université Harvard. Dans leur introduction à l’ouvrage, ils explicitent les sujets qu’ils souhaitent y examiner : modifications survenues depuis la fin de la guerre froide dans les trois pays nucléaires considérés, tant en ce qui concerne leur stratégie et la structure de leurs forces que dans leur attitude par rapport aux problèmes du désarmement, des essais et de la non-prolifération ; attitude des États-Unis et de la Russie face à ces évolutions ; conséquences pour la stabilité internationale, influence que les États-Unis et la Russie peuvent avoir à cet égard et perspectives d’une coopération dans ce domaine des cinq puissances nucléaires officielles.
C’est évidemment la façon dont est présenté le dossier français qui intéresse en priorité nos lecteurs. Ils peuvent être immédiatement rassurés, puisque la contribution majeure à ce dossier (85 pages) est due au professeur David Yost qui est actuellement le meilleur expert américain de la politique de défense française, en particulier dans le domaine nucléaire. En 1985, il avait déjà écrit un livre très remarqué sur ce sujet, et depuis il a entretenu son expertise, en participant notamment aux recherches du Groupe d’études français sur l’histoire de l’armement nucléaire (Grefhan) et présentement aux travaux du Centre des hautes études de l’armement (Chear) comme professeur invité. Deux autres analyses partielles du cas français figurent aussi dans l’ouvrage, dues respectivement à Benoît Morel, universitaire d’origine suisse de formation scientifique, et à Jean-François Delpech, le directeur du Crest-École polytechnique (Centre de recherche en économie et statistique).
Quant au dossier relatif à la Grande-Bretagne, il est composé d’une étude sur « le passé, le présent et l’avenir de la politique nucléaire » de ce pays, due à Michael Quinlan qui jusqu’à récemment a occupé plusieurs postes ministériels liés à la « Defence », et aussi d’une contribution importante de notre amie britannique Béatrice Heuser, experte bien connue des comportements britannique et français en la matière : elle se préoccupe de la possibilité de réconcilier indépendance, crédibilité et garantie mutuelle dans une perspective de sécurité collective, en particulier en Europe. Enfin, l’ouvrage comporte un dossier concernant la Chine, sujet resté pour nous mystérieux jusqu’à présent. Il est composé d’une étude sur la stratégie nucléaire de ce pays, due à Litai Xue, universitaire originaire de Hong Kong et maintenant chercheur à Stanford, ainsi que d’une réflexion sur l’avenir de la politique chinoise en la matière, rédigée par Jonathan Pollack qui appartient à la RAND Corporation et est un expert réputé des questions asiatiques, en particulier des relations américano-chinoises.
L’ouvrage en question nous présente par ailleurs les points de vue américain et russe sur l’avenir des armes nucléaires, exposés respectivement par Stephan Hadley, lequel était encore récemment assistant secrétaire à la Défense pour les affaires de sécurité internationale, et Alexei Arbatov, fils du célèbre géopoliticien soviétique Georgiy Arbatov et spécialiste des questions de désarmement. Le premier met l’accent, d’une part sur le renforcement indispensable des précautions à prendre contre l’emploi accidentel ou non autorisé des armes nucléaires, d’autre part sur la nécessaire coopération des États nucléaires contre la prolifération, enfin sur les inconvénients que pourrait comporter une réduction trop forte du nombre des armes des pays nucléaires, dans la mesure où elle pourrait faciliter l’accès rapide à un statut nucléaire de niveau mondial, de ceux qui aspirent à s’en doter. Quant au second, il envisage les perspectives d’une limitation des armes nucléaires des trois « petits » (sic) par accords multilatéraux avec les deux « grands », accords qu’il estime nécessaires si ces derniers mettent effectivement à exécution START II ; à ce sujet il prévoit des difficultés de la part de la Chine.
Les conclusions d’ensemble de ces différentes analyses sont tirées par les deux coordinateurs de l’ouvrage ainsi que par les professeurs Sidney Drell de l’université de Standford et George Quester de l’université de Maryland, par ailleurs codirecteur du Nuclear History Program auquel participe le Grefhan. Il en résulte les perceptions suivantes du cas français qu’il nous est donc utile de connaître, en remarquant d’ailleurs qu’elles ne sont pas très différentes de celles concernant le cas britannique.
1. - La vision française des armes nucléaires reste essentiellement politique et basée sur la prévention de la guerre. Cependant la crédibilité de notre « déclaratoire » a été quelque peu entachée par l’exposé des cas de conscience d’un ancien décideur en la matière ; et actuellement on distingue chez nous deux écoles de pensée, dont l’une paraît plus « opératoire » que l’autre.
2. - La France a pris conscience des dangers de la prolifération et elle est devenue un des pays les plus efficaces dans ce domaine. Elle fait donc partie de ceux qui souhaitent une prolongation indéfinie du Traité de non-prolifération (TNP), tout en restant préoccupée par la liaison qui a été introduite récemment, sans beaucoup de raisons valables reconnaissent les commentateurs, entre cette perspective et la conclusion d’un traité interdisant totalement les essais nucléaires.
3. - La France est plus soucieuse que ses voisins d’envisager la mise sur pied d’une force nucléaire européenne, tout en n’étant pas disposée à abandonner son autonomie de décision en la matière, ce qui paraît rendre le problème insoluble à moyen terme.
4. - La perspective d’une participation de la France à des négociations multilatérales sur la limitation des armes nucléaires ne peut pas être envisagée tant que l’exécution de l’accord américano-russe START II n’aura pas été entreprise ; ce qui suppose le démantèlement préalable des armes nucléaires encore stationnées en Ukraine, puisque leur nombre est actuellement supérieur à ceux cumulés des armes de la France, de la Grande-Bretagne et de la Chine.
5. - L’éventualité d’une concertation des cinq puissances nucléaires officielles en vue d’assurer une stabilité internationale dans le domaine des armes nucléaires dépend essentiellement du comportement de la Chine, lequel reste à cet égard, comme à beaucoup d’autres, la grande inconnue de demain. C’est pourquoi nous comptons y revenir prochainement dans un article sur le nucléaire chinois, en utilisant les analyses du présent livre ainsi que d’autres sources ouvertes depuis peu. ♦