Histoire de la guerre du Liban
Dans son ouvrage particulièrement bien documenté, Jean Sarkis nous livre une étude sur l’ensemble de la guerre du Liban depuis 1975, année des premiers affrontements entre chrétiens et Palestiniens, jusqu’à la fin de 1992 où de nouvelles donnes ont été mises en place. Même si l’auteur ne développe pas la genèse des dix-sept années du conflit, la plupart des spécialistes s’accordent pour souligner la responsabilité des Palestiniens dans le déclenchement du drame libanais. Imposés au Liban par les autres pays arabes, leur nombre a considérablement augmenté jusqu’à atteindre 15 % de la population locale. Ces 400 000 réfugiés ont considéré le pays d’accueil comme un État de remplacement, instituant leur souveraineté sur des régions entières. Cette minorité difficilement assimilable a, d’autre part établi sur place des bases militaires à partir desquelles les feddayin ont lancé des actions de commandos contre Israël, provoquant ainsi des interventions violentes et massives contre le pays du cèdre.
L’embrasement général qui a suivi les premiers combats en 1975 met bien en relief la situation d’anarchie totale qui a ensuite caractérisé cet État multiconfessionnel (1). Toutes les tragiques péripéties qui ont plongé le pays dans l’horreur sont décrites avec une précision remarquable : affrontements entre les communautés chrétienne et musulmane, conflits au sein des différents groupes islamiques, luttes fratricides entre les factions chrétiennes, antagonismes opposant les multiples milices, crises causées par les prises d’otages, assassinats de présidents nouvellement élus (Bechir Gemayel en 1982, René Moawad en 1990), invasions israéliennes, attentats sanglants, déchirements au sein de l’OLP, échec des cessez-le-feu…
Aujourd’hui, les nouveaux paramètres résultent de deux événements majeurs qui semblent, pour l’instant, avoir eu une influence sur l’arrêt des combats : l’accord de Taef et l’éviction du général Aoun, victime du lâchage des Américains et d’une alliance objective entre les Israéliens et les Syriens. Le général chrétien, qui disposait d’un soutien important à l’intérieur de sa communauté, était opposé à cet accord qui avantageait les Syriens. Le traité prévoit en effet une réduction des pouvoirs du président de la République (chrétien), la dissolution des milices ainsi que le redéploiement (et non le retrait) des forces syriennes. Il insiste en outre sur le rappel de l’identité arabe du Liban et donc sur les liens spécifiques qui doivent unir Beyrouth et Damas.
Dans cette guerre, Damas a en effet joué un rôle primordial en multipliant, d’une façon habile, les renversements d’alliance. Au début des affrontements, les Syriens avaient armé les Palestiniens estimant qu’avec l’aide des mouvements islamiques libanais, ils seraient en mesure de prendre le contrôle du pays. La résistance fut telle que Damas dut revoir ses analyses et faire intervenir ses troupes pour appuyer les forces islamo-palestiniennes en mauvaise posture. Redoutant une trop grande influence des Palestiniens qui aurait pu nuire aux ambitions syriennes, et constatant un manque de docilité à son égard, Damas apporta, par la suite, son soutien au camp chrétien afin de mater toute velléité d’autonomie.
Les nombreux changements d’attitude du président syrien Assad envers les milices ont été également dictés par des objectifs politiques. Damas avait de nombreuses raisons de provoquer ou de récupérer les affrontements entre les factions islamiques. La première de ces causes tient sans doute à l’affaiblissement des milices : aucun groupe armé ne doit être suffisamment fort pour tenir tête à l’armée syrienne au Liban. La deuxième est que ces combats rendent les milices dépendantes de Damas, chacune sollicitant l’aide syrienne contre ses adversaires. Une troisième raison est liée au discrédit retombant sur les institutions libanaises et plus particulièrement sur le président de la République incapable de faire régner l’ordre dans son pays (il s’agit d’affaiblir la légalité en démontrant son inefficacité). En mettant un terme aux affrontements intermilices, la Syrie fait ainsi la démonstration de sa crédibilité et de son aptitude à résoudre les problèmes libanais.
Dans cette affaire complexe, la Syrie a donc joué à la fois le rôle d’incendiaire et de pompier pour montrer que sa présence était absolument indispensable dans cette zone tourmentée du globe. Toutefois, Jean Sarkis réfute la thèse de la réussite du volontarisme syrien. Selon l’auteur, l’analyse des événements prouve que la Syrie n’a pas eu un projet bien défini, mais au contraire une série de plans successifs adaptés aux diverses situations du moment. Son échec aurait donc été certain sans la conjonction de deux événements fortuits qui « ont pris en tenaille la légalité libanaise par le bas et par le haut lorsque se sont conjugués le conflit interchrétien relevant de l’ordre milicien et la guerre du Golfe dépendant de l’ordre international ». Ce dernier épisode a en effet permis une certaine collusion entre la Syrie, Israël et les États-Unis au détriment du camp chrétien affaibli par ses divisions, notamment par la multiplicité de ses leaders (Washington avait besoin du soutien de Damas dans son entreprise contre l’Irak). Comme le souligne l’auteur dans sa conclusion, l’histoire de la guerre du Liban nous invite à réfléchir « sur la vanité des projets humains dans le grand événement lorsque se conjuguent l’imprévisible et les fatalités ».
Aujourd’hui, le Liban entame un long processus de reconstruction. S’il veut redevenir « la Suisse du Proche-Orient », il devra résoudre ses nombreuses contradictions internes, protéger les intérêts des différentes communautés, en particulier ceux des chrétiens devenus démographiquement minoritaires, et acquérir une véritable souveraineté libérée de toute occupation étrangère. La dynamique de paix qui vient de se déclencher dans la région, suite à l’accord entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et la chute de l’empire soviétique, autrefois principal soutien de la Syrie, pourraient créer une situation nouvelle capable de favoriser la renaissance du pays du cèdre. Cependant, le chemin vers la stabilité est encore long. ♦
(1) Dix-sept confessions sont officiellement représentées au Liban.