Comprendre l'Islam et son lien avec le politique est indispensable pour qui s'intéresse aux printemps arabes. Cette clé de lecture illustre la complexité du rapport entre pouvoir spirituel et pouvoir étatique dans une culture où la dimension confessionnelle est centrale.
L'Islam parmi les livres
Publications on Islam
Understanding Islam and its link with policy is indispensable for those interested in the Arab Spring. This reading key illustrates the complexity of the connection between spiritual power and state power in a culture where the sectarian dimension is central.
L’islam, religion du Coran et de la sharî’a a-t-elle un clergé ? Quelle forme de clergé ? Ce clergé limite-t-il ses compétences et ses aspirations à la surveillance de l’orthodoxie de la doctrine et de la pratique religieuse et à l’application de la sharî’a ? A-t-il vocation à jouer un rôle politique ? Les docteurs en religion, les oulémas et les ayatollahs, aspirent-ils à exercer un pouvoir de cette nature puisque la loi de Dieu doit régir toute l’activité humaine ? Les réponses à ces questions sont différentes pour les sunnites et les chiites comme le montrent les livres de deux historiens : Nabil Mouline et Pierre-Jean Luizard.
Nabil Mouline s’était fait connaître par un livre de référence sur le califat imaginaire d’Ahmed Mansour : Pouvoir et diplomatie au Maroc au XVIe siècle. Il a passé dix ans en Arabie Saoudite où il a étudié le fonctionnement de la monarchie saoudienne et l’action des oulémas qui se veulent « dépositaires de la vraie religion ». Ils se conçoivent comme un « establishment » religieux contribuant au maintien de l’ordre politique et ils sont responsables de l’orthodoxie doctrinale et de l’orthodoxie rituelle, « les trois O » de la doctrine Hambalé-Wahhabite. Mouline se réfère aux grandes figures de l’Islam sunnite : Ibn Hanbal (mort en 855) qui crée une école théologique et une école juridique dont la conjonction produit une identité collective. Après la crise mutazilite, le Hanbalisme fait reculer le chiisme et installe le sunnisme pour une longue période de stabilité, sous l’autorité des califes, pendant quatre siècles, jusqu’aux invasions mongoles. La sharî’a est devenue le « corps mystique de l’Islam » lorsque l’invasion mongole submerge le Moyen-Orient. L’application stricte de la loi et l’activisme religieux vont-ils subsister ? Venu de Syrie, Ibn Taymiya, au milieu du XIIe siècle, rétablit la confiance dans les pieux ancêtres, les « Salafistes » et son message va être repris, au XVIIe siècle, par Abd el Wahhab dont Mouline analyse en détail les conceptions. L’Arabie sunnite naît, ou plutôt commence à naître ; naissance difficile dans les guerres qui l’opposent à la puissance ottomane d’Istanbul, qui au XIXe siècle, s’empare de la province de l’Ahsa. La monarchie saoudienne ne se constitue en État qu’en 1932. Elle est en opposition avec les Égyptiens partisans de Nasser après avoir enlevé, quelques années auparavant, la province de l’Asir au Yémen. Bientôt, viendra le pétrole qui fera du roi Abd el Aziz le plus riche et un des plus influents souverains du monde arabe. Il aura, dans cette entreprise, usé de la diplomatie autant que de la force, associant dans ce pays clérical les moyens de l’État aux initiatives des Ikhwans, armée de volontaires difficilement contrôlables, menace contre le régime autant que son instrument.
La corporation des oulémas s’adapte à l’évolution politique ; elle y trouve sa place et y impose son rôle. L’artisan principal de l’emprise des oulémas est le grand Mufti d’Arabie Saoudite, membre éminent de la famille des Al al-Shaykh, descendants de Wahhab, Muhammad Ibrahim, qui exerce jusqu’en 1969, une influence déterminante dans le royaume, en définissant une « morale de responsabilité ». Il réforme, centralise ; son autorité s’étend à tous les domaines, éducation, organisation judiciaire, adaptation des codes juridiques étatiques et de la sharî’a (loi religieuse musulmane), intervention dans les médias. Son activité est telle que la monarchie réagit. Le roi Fayçal, successeur d’Abd el Aziz, crée, en 1971, le comité des grands oulémas, organisme suprême chargé de formuler des avis sur toutes les questions touchant à la légitimité de la monarchie. Mais l’initiative royale, qui se voulait une reprise en main, tourne à l’avantage de la corporation des oulémas qui impose ses vues sur le délicat problème de l’influence de la sharî’a sur la codification étatique, notamment en matière commerciale, tout en contrôlant la société et la sphère politique par les services policiers de l’institution du « Commandement du bien et de l’interdiction du mal ».
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