Military thinking—The Strategy of Bluff (3rd part)
Pensée militaire - La stratégie du bluff (3e partie)
La stratégie du bluff a connu ses lettres de noblesse pendant la guerre froide. Elle s’est même apparentée à une véritable guerre chaude entre les deux blocs antagonistes qui se défiaient des deux côtés du rideau de fer. Durant près d’un demi-siècle, les deux superpuissances ont ainsi alimenté des séquences de désinformation et d’intoxication pour entretenir un équilibre de la terreur. Pour ce faire, les protagonistes de ce jeu géopolitico-militaire ont organisé des mises en scène retentissantes (défilés de matériels, déclarations tonitruantes…) et ont souvent « gonflé » délibérément leurs moyens respectifs. Dans ce face-à-face angoissant entre les deux grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’Union soviétique se sont livrés à des parties de poker menteur qui ont failli, à plusieurs reprises, ébranler l’échiquier politique de la planète.
Dans ce contexte de paix bouillante, le premier coup de bluff fut le blocus de Berlin mis en place brutalement par l’URSS le 24 juin 1948. Moscou entendait ainsi faire plier Washington et mettre la partie occidentale de la ville allemande sous la férule soviétique. Pour ravitailler les Berlinois de l’Ouest, les Américains organisèrent alors un gigantesque pont aérien. Pour accentuer la pression, les États-Unis déployèrent au cours de l’été 1948 sur des bases britanniques des B-29 superfortress du Strategic Air Command. Fortement impressionné, le Kremlin vit ces aéronefs particulièrement menaçants comme capables de venir larguer des bombes sur des positions soviétiques au cas où la situation aurait dégénéré. Abusée, pleinement persuadée de la détermination de la Maison-Blanche et absolument convaincue de l’efficacité de l’opération logistique menée par les Américains pour secourir la population berlinoise, l’URSS leva finalement le blocus le 12 mai 1949.
Le deuxième coup de bluff a pour cadre la crise de Suez à l’automne 1956 qui éclata après la nationalisation inattendue du canal par Nasser et donc à la tentative du Raïs égyptien de mettre fin à cette marque forte de la présence franco-britannique au Proche-Orient (une compagnie franco-britannique contrôlait cette voie maritime qui revêtait d’importants intérêts stratégiques et économiques). L’action victorieuse des forces françaises et britanniques fut arrêtée brusquement par un ultimatum soviétique extrêmement inquiétant et faisant allusion à l’emploi possible d’armes nucléaires. Dans le même temps, les États-Unis, irrités par le fait d’avoir été écartés des préparatifs de l’intervention militaire par leurs alliés britanniques, se comportèrent en alliés objectifs de Moscou en lançant une attaque monétaire destinée à faire baisser la livre sterling. Le coup de bluff nucléaire du Kremlin et le coup de poker financier de Washington qui avaient fait reculer Paris et Londres, eurent des répercussions géopolitiques majeures en changeant radicalement la donne au Proche-Orient : en se substituant à l’influence franco-britannique qui prédominait dans la région, les États-Unis et l’Union soviétique prirent pied dans cette zone sensible et s’y affirmèrent comme les deux grandes puissances indispensables dans les négociations à venir. Cette partie de poker a paradoxalement transformé la débâcle militaire de Nasser en une victoire politique du dictateur du Caire. Les Français et les Britanniques, acteurs de cet étrange jeu du bluff, ont été pour leur part humiliés malgré leur succès militaire fulgurant.
Il reste 62 % de l'article à lire