Billet – « Même pas peur ! »
J’étais à la manif, l’autre dimanche. Oh ! Je n’ai pas crié « Je suis Charlie », slogan douteux même si je comprends qu’il faille bien quelque chose de simple pour catalyser l’émotion. Les marcheurs ont d’ailleurs dit beaucoup plus de choses que ce slogan. J’y suis allé parce que « c’est mon pays, qu’il ait tort ou raison » et qu’il était important, cette fois, de manifester l’unité nationale. De signifier la patrie, même si cela changeait des monuments aux morts où ce sentiment s’exprime habituellement. Quand la France est attaquée, peu importent les motifs, on se défend. La défense, ici, exigeait de répondre présent, de répondre « même pas peur ! ». De même que je suis régulièrement allé rendre hommage aux morts au combat, quand leurs cercueils passaient sur le pont Alexandre III, de même il fallait dire un mot à nos compatriotes tombés.
Mais une fois cette union nationale manifestée, bien des questions surviennent. J’ai beaucoup écouté ceux qui m’ont dit « Je ne suis pas Charlie ». Effectivement, je suis troublé quand on me parle de « liberté d’expression ». Celle-ci est-elle la liberté d’injure, prenant toujours les mêmes cibles faciles (jamais d’autres), toujours au-dessous de la ceinture, toujours outrageante ? Ont-ils vraiment contribué au « Vivre ensemble » pour utiliser le sabir du moment ? Et si on peut aller jusqu’à ces excès, au nom de quoi condamner tel ou tel ? L’incitation à la haine n’est-elle pas également partagée, de façon pareillement haïssable ? Ce n’est pas une raison pour tuer. Le crime doit être condamné, toujours.
Je pense aussi à ces enfants perdus, ces trois Français (car ils sont français) qui décident un jour d’attaquer leur pays. Comment en arrive-t-on là ? Peut-être parce que notre « système » marche sur la tête et fonctionne non pas malgré, mais grâce à des franges qui sont exclues de la vie commune. École en panne, non-emploi, contrôles incessants, vide quotidien. Qu’on ne me dise pas qu’il faut faire des efforts et que cela ne dépend que d’eux. Quand on a 3 millions de chômeurs depuis des années, cela ne dépend pas « que d’eux » mais aussi de nous et de notre acceptation de cette relégation. Cela dépend aussi du système qui ne cesse d’affirmer « il n’y a pas d’autre solution ».
Enfin, si je n’ai pas peur, je demeure très inquiet. Inquiet que ce formidable mouvement ne soit qu’un feu de paille, l’ultime éclat d’une société rassemblée avant que les clivages révélés ne dégénèrent. Inquiet de voir des communautés se replier car renvoyées à leur identité imposée. Inquiet de voir les tensions s’approfondir au risque de l’irréparable. Inquiet que l’escalade de la violence n’en soit qu’à ses débuts, dans cette « guerre » d’un genre nouveau (puisqu’il paraît que nous sommes en guerre) où l’État n’en pourra mais devant la multiplication des incidents et agressions, démultipliées et s’aggravant selon le cycle bien connu action-réaction, provocation-répression. Pas peur, mais inquiet.