Le royaume d’Archimède
Derrière ce titre un peu énigmatique, se cache une étude sur les opérations maritimes. La mer est un domaine où la poussée d’Archimède tient les navires à flot. Pour l’auteur, ce parrainage paraît moins « ringard » que celui de Neptune et de son sceptre que l’amiral Castex voulait planter dans la terre.
Ce livre est le fruit de l’expérience acquise par l’amiral Tripier quand il était professeur de tactique à l’École supérieure de guerre navale, mais ce n’est pas un cours magistral. User de la mer, c’est transporter des richesses et des forces, après s’être assuré sa maîtrise selon les idées classiques de Mahan et de Castex, en appliquant les bons principes valables pour toute action militaire suivant une analyse assez voisine de la doctrine américaine. Plus des deux tiers du livre sont consacrés à ces deux emplois en faisant appel à l’histoire, méthode qui n’est pas sans inconvénients. Nous sommes entraînés dans beaucoup de détails, il est peut-être fait trop confiance à certaines sources. Je pense que l’amiral Tripier accorde trop de crédit à ce bon Roger Keyes pour l’affaire des Dardanelles ; il avait toutes les qualités sauf celles qui font un bon chef d’état-major. À vrai dire, les Britanniques de l’époque n’avaient pas des idées très claires sur le rôle et le fonctionnement des états-majors.
Ce genre de discussion ne concerne pas que les spécialistes. Il me paraît plus grave de constater que ce livre s’arrête en 1945, à part l’intermède bien court des Malouines. Les forces maritimes seraient-elles en chômage depuis près de cinquante ans ? Il y a eu la Corée et l’Indochine. Les gens du Clemenceau et du Foch, qui sont restés des mois devant Beyrouth ou dans le golfe d’Aden, seront assez surpris. Il y aurait beaucoup à dire sur le rôle des forces maritimes dans le maniement des crises, à commencer par celle de Cuba en 1962. Il faudrait relire le petit livre de Sir John Cable, Gunboat diplomacy, la canonnière pouvant être une escadre comme celle de l’amiral Roussin forçant les bouches du Tage en 1831 ou les groupes de porte-avions modernes.
J’ai beaucoup aimé les derniers chapitres, sur la zone d’action du marin, celui qui s’intitule « Être marin ». Le navire est une sorte d’être vivant digne d’amour ; en temps de guerre il est pourtant matière consommable, comme le rappelle l’amiral Andrew Cunningham dans ses mémoires. Certes, en elle-même, la mer n’est pas un carrefour de civilisations, mais elle permet le transport des hommes et des idées. C’est en cela qu’elle est « la matrice des civilisations ». Le dernier chapitre aurait pu s’intituler « Homme libre, toujours tu chériras la mer », suivant un vers de Baudelaire. En résumé, cet ouvrage vivant et bien écrit intéressera tous ceux qui veulent étendre leur réflexion au-delà d’un horizon purement terrestre et continental. ♦