L’Europe puissance spatiale
Les auteurs, juriste et économiste, tous deux universitaires, présentent dans ce livre édité à Bruxelles et préfacé par Hubert Curien, une thèse que l’on peut énoncer comme suit : primo, l’Espace fait partie des « défis grandioses » de notre époque, les disciplines concernées sont innombrables, les retombées de même ; il importe donc d’être présent dans la compétition et, comme l’affaire dépasse les moyens de chacun des États européens, il faut travailler de concert avec nos partenaires ; secundo, le militaire et le civil se « recoupent largement » ; si le premier a été à l’origine des réalisations initiales, les développements futurs, l’exploitation commerciale et éventuellement le profit sont désormais à attendre surtout du second ; tertio, malheureusement, des préoccupations nationales différentes voire divergentes en matière de défense et de sécurité ont conduit la coopération intra-européenne à une démarche bancale, les réussites indéniables dans le secteur civil n’étant pas accompagnées de résultats aussi brillants dans le domaine militaire. Conclusion : face à des « enjeux formidables qui n’ont pas été immédiatement perçus », à la frontière d’un « nouveau Far West à conquérir », dans un contexte occidental comprenant « un partenaire dominant, les États-Unis, et un rival redoutable, le Japon », sous la menace enfin de concurrents n’hésitant pas devant le dumping… l’Europe doit impérativement se donner les moyens politiques efficaces et cohérents d’assurer sa place au soleil.
Or, elle en a la possibilité. Encore que l’écart soit d’un à dix entre l’effort global européen en deniers et en personnels et celui des supergrands, les pays de la Communauté économique européenne (CEE) tiennent un solide troisième rang, et parmi eux la France, initiatrice d’Ariane et d’Hermès, est le leader de l’équipe, devant l’Allemagne et l’Italie qui a doublé la Grande-Bretagne. Le « handicap actuel de l’Europe spatiale n’est dû ni à des obstacles scientifiques ni à une infériorité intrinsèque ». Le cœur du problème est donc bien la mise sur pied d’une politique appropriée de définition des objectifs (y compris militaires, car « la technologie spatiale est amenée à provoquer un renouveau conceptuel des notions militaires traditionnelles et notamment de la notion de dissuasion ») et d’optimisation de l’allocation des ressources.
L’analyse est menée suivant un plan classique. Dès le début, le cadre est magistralement tracé à l’aide de deux sous-titres bien choisis : « Un espace juridiquement pacifié… concrètement militarisé » (malgré de vertueuses résolutions). L’étude des « outils » techniques et financiers s’étend aux institutions et met en évidence les limites de l’action de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui, « après vingt ans de valse-hésitation », ne détient « ni la capacité de commercialiser, ni celle de militariser », d’où une raison supplémentaire de se tourner vers l’Union de l’Europe occidentale (UEO) qui, se réveillant de son long sommeil, s’avère décidément être le salon à la mode. L’examen de l’action commune européenne souhaitée donne l’occasion de développements, à notre avis particulièrement intéressants, sur les caractéristiques de l’industrie spatiale moderne, sur la position des différents pays européens vis-à-vis de l’Initiative de défense stratégique (IDS), enfin sur les possibles aspects concrets d’une stratégie coordonnée (par exemple pages 195-196).
Voici donc un ouvrage où se mêlent judicieusement le technique, l’économique et le politique, résolument européen, et de présentation didactique, au point de pratiquer la redondance volontaire destinée à effectuer le rappel des chapitres précédents et à bien « enfoncer le clou » ; la lecture en est ordinairement facile et il faudrait être un expert en petitesse pour relever l’emploi réprouvé par Robert, toléré par Camus et ici largement répété (p. 33, 77, 194 et 199), d’un verbe ordinairement transitif. Cent pages d’annexés fournissent enfin une base documentaire précieuse, dans laquelle un certain nombre de tableaux et de graphiques d’activité, le rappel des principaux accords Est-Ouest dans le domaine considéré, et la confirmation du rôle de l’UEO nous ont paru les éléments les plus directement utilisables pour les non-spécialistes. ♦