Le Cambodge dans la tourmente, 1978-1991
L’ouvrage de Nicolas Regaud sur le Cambodge dans la tourmente étudie la période 1978-1991 et permet de situer ce qui se passe aujourd’hui dans ce pays.
Le sous-titre, « Le troisième conflit indochinois », illustre bien à quel point le drame cambodgien dépasse les frontières des pays et se trouve encore plus difficile à surmonter, puisque causes internes et externes se superposent pour le rendre d’une redoutable complexité. URSS et Chine, Vietnam et Thaïlande, Ansea (Association des Nations du Sud-Est asiatique), conflit Est-Ouest, les intérêts, les stratégies se mêlent et s’affrontent dans un malheureux pays, déchiré lui-même par les factions antagonistes et une redoutable idéologie.
Des figures émergent, l’éternel Sihanouk et l’horrible Pol Pot entre autres, dans un déroulement rigoureux et analysé de façon détaillée et convaincante. Les trois niveaux du conflit apparaissent clairement : local, régional et international. On songe parfois à l’Afghanistan, d’autres fois au Liban, pays où s’affrontent aussi, par l’intermédiaire d’armées régulières et de partisans, des volontés de puissance et des idéologies. On constate qu’au cours de toutes ces années, les acteurs cambodgiens sont pratiquement les mêmes, et c’est encore vrai aujourd’hui. Les guerres, qu’elles soient civiles ou étrangères, n’atteignent pas toujours les dirigeants !
On constate aussi que pendant toute cette période, le conflit s’est déroulé d’une part sur le terrain, d’autre part autour des tables de négociations. Les plans de paix, unilatéraux d’abord, se sont succédé à partir de 1985, et la Conférence de Paris n’a abouti qu’en octobre 1991, après des années de réunions périodiques.
Il est alors logique que l’auteur ait choisi un plan chronologique, chaque période étant définie par une dominante, et la simple énumération est éloquente : le conflit local, l’invasion du Cambodge, l’extension du conflit, la république du Kampuchea, les mouvements de résistance, la guerre des camps, une stratégie vietnamienne de consolidation ; un conflit régional, le nouvel équilibre régional, les réponses de l’Ansea ; l’intervention des grandes puissances, une stratégie chinoise de contre-encerclement, une stratégie soviétique d’encerclement et de rupture, une stratégie américaine de polarisation ; un système conflictuel en évolution, perestroïka et crise de l’empire soviétique, la nouvelle « pensée » vietnamienne, un nouvel espoir au Cambodge, un nouveau contexte local et international, le plan des Cinq et les négociations intercambodgiennes. Quelle richesse d’analyse, quelle mine d’informations, dans ce labyrinthe aux multiples pièces !
Peut-être aurait-on aimé une vision plus synthétique à certains moments, mais était-ce vraiment possible ? Ce n’est pas certain. En tout cas, en possession d’un tel guide, on comprend les obstacles que rencontre la mission de l’ONU, et on peut s’interroger sur le rapport coût-efficacité de cette entreprise. Il peut paraître indécent de mesurer la paix en termes de dollars, mais il est quand même légitime de s’interroger en raison de la multiplicité des tâches dont se charge l’ONU, car, faute d’efficacité suffisante et avec des coûts excessifs, celle-ci risquerait d’être conduite à des retraits successifs dont les conséquences seraient à coup sûr catastrophiques.
Pour le Cambodge avant tout, et aussi pour l’ONU, souhaitons que les espoirs de paix se concrétisent dans les délais prévus. Cela suppose que sur le terrain et dans les enceintes politiques les Cambodgiens, leurs voisins et les puissances intéressées soient convaincus, et convaincants comme cet ouvrage. ♦