Salonique 1850-1918, la ville des juifs, et le réveil des Balkans
Fondée à l’époque hellénique et n’ayant pas cessé d’exister depuis, Thessalonique, deuxième ville et deuxième port de Grèce, a fêté ses deux mille trois cents ans en 1985. Pendant quatre siècles, cette cité balkanique où, après un bref intermède vénitien, les Turcs ottomans avaient établi leur domination, fut une ville juive et hispanophone. Phénomène rarissime, sinon unique, les juifs n’étaient pas comme partout ailleurs, une minorité plus ou moins marginale, mais constituaient la majorité. Les auteurs de cet ouvrage collectif introduit et composé par Gilles Vernstein restituent avec force et habileté bien des éléments de cette culture juive séfarade qui s’est imposée depuis l’expulsion de 1492. La « Jérusalem des Balkans », carrefour entre l’Orient et l’Occident, s’est ouverte aux connaissances, aux techniques, aux idées et aux mœurs de l’Europe moderne ; c’est de là qu’est partie en 1908 la révolution des Jeunes-Turcs. Elle fut l’enjeu de la première guerre balkanique et devint grecque en 1913 pour être, quelques années plus tard, impliquée dans la Grande Guerre.
Cette cité, qui fut le centre économique des Balkans ottomans, changea presque entièrement de visage par suite de son intégration à l’État national grec et du fait des destructions perpétrées par le grand incendie de 1917. La fin de cette grande symbiose des cultures intervint en 1943, lorsque l’occupant nazi anéantit la Salonique juive par une extermination presque totale. Comme Trieste sa rivale adriatique, elle avait vu la coexistence des groupes humains, religieux et culturels très divers, qui ouvrirent la voie à un urbanisme cosmopolite, un syncrétisme culturel tout en se voulant à l’avant-garde de la modernité.
Peut-être que la nouvelle grande Europe verra éclore dans les prochaines décennies de tels carrefours humains et culturels. On en est bien loin, mais ce bel ensemble montre que la nostalgie peut aussi constituer un des chemins de la solidarité et de la création. ♦