Stratégie générative, de l’anthropologie à la géopolitique
Solidement planté au carrefour de la stratégie, de la sociologie et de l’islamologie, Jean-Paul Charnay nous fait à nouveau profiter de son exceptionnelle érudition (1). Son livre décrit le dernier état de l’art : art double, puisque s’y mêlent anthropologie stratégique et géopolitique ; c’est la première qui donne sens à la seconde, l’homme qui « informe » la géographie. D’où le titre Stratégie générative.
Des richesses que renferme l’ouvrage, on ne peut proposer que des échantillons. Ainsi Jean-Paul Charnay s’interroge-t-il sur le ressort caché de l’entreprise stratégique. Est-ce la volonté de puissance, si rudement mise en cause par Saint Paul (Omnis potestas a diabolo) ? La rareté des ressources ? L’exaltation de la différence et l’horreur de l’autre ? Aucune de ces propositions n’est satisfaisante. Insuffisante aussi, dangereuse plus encore, est la géopolitique doctrinale façon Mackinder, ou la redoutable recherche en souveraineté (comme on dit recherche en paternité) qui oppose en Palestine Juifs et Arabes… et en Yougoslavie les Yougoslaves. Reste le moins discutable des motifs guerriers, quelque humiliant qu’il soit : « La stratégie est l’acte de vie par excellence », et la guerre une réponse à l’appel de la nature, normalement refoulé. Foin des raisons des raisonneurs, on bat « aux champs » et on entre « en campagne ».
Sur l’époque moderne, l’auteur n’est pas moins pertinent. Il propose le terme de proxemique pour rendre compte de la révolution actuelle, transparence du monde et instantanéité de l’information. Des philosophies de l’histoire, Jean-Paul Charnay, qui constate et questionne plus qu’il ne juge, se méfie. Il cite pourtant un mot de Paul Valéry, qui annonce, sinon la fin de l’histoire, du moins « une Terre étale » : « La guerre étant l’emploi des moyens de destruction des biens et des vies aux fins d’une politique, c’est peut-être à la politique qu’il faut faire la guerre ». ♦
(1) Nous avons analysé, dans cette revue, ses livres les plus récents : Métastratégie (juillet 1990), Critique de la stratégie (mars 1991). Voir aussi, dans le numéro de novembre 1986 : L’islam et la guerre.