Encore une guerre de retard ?
La passion du lieutenant-colonel de Richoufftz pour le métier des armes le pousse non seulement à se poser des questions sur l’institution militaire, mais à les présenter aux responsables politiques et militaires et leur proposer des ébauches de solutions au cas où ces derniers répugneraient à y répondre. Quittant le scénario fiction de son livre précédent. Décembre 1997, les Russes arrivent…, cet officier, sous le titre plus provoquant Encore une guerre de retard ? mène une réflexion géopolitique sur le rôle et l’avenir de nos armes, bâtie sur la trame opérationnelle d’un haut état-major pendant la courte guerre du Golfe.
Les récents bouleversements de l’Europe de l’Est conduisent l’auteur à reconsidérer les concepts politiques et militaires établis au « temps des certitudes ». Ainsi la position française « d’indépendance nationale » définie au début de la Ve République et fondée sur le nucléaire est-elle remise en cause par l’effondrement d’un des deux blocs « hégémoniques ».
Nos concepts du rapport du « faible au fort », du nucléaire préstratégique, nos objectifs de programmation militaire, notre tutelle sur le continent africain notamment, sont-ils désormais périmés depuis que l’URSS et ses doctrines se sont dissoutes dans un immense chaos économique ? Nos certitudes en matière d’intervention militaire conventionnelle n’ont-elles pas été fortement ébranlées par le conflit avec l’Irak, ce petit pays surarmé et sans complexes ni scrupules tenant tête à trois puissances nucléaires ?
La donne géopolitique se renouvelle, l’Europe y prend un tour très particulier. Quels sont donc les « enjeux » qui se présentent désormais à la France ? Enjeux techniques d’abord, inspirés directement du conflit avec l’Iran ; les États-Unis en ont fait une remarquable démonstration : n’est pas combattant qui veut, même au mépris de pertes massives ! Enjeux politiques aussi pour la France ; sécurité européenne avant tout, comment la maintenir, comment s’imposer dans un concert de nations de plus en plus discordant ? Dans l’ordre international nouveau, après l’effacement relatif du rapport Est-Ouest, pouvons-nous tenter de prétendre au leadership du rapport Nord-Sud ?
Pour répondre à ces enjeux, la France doit adapter son outil militaire, mais y est-elle préparée, en a-t-elle la volonté ? Pourtant, elle doit choisir et de Richoufftz se propose de l’y aider. Dans le domaine des armes qui est le sien, il tente de déterminer des besoins lui permettant de définir un nouvel outil militaire.
L’Europe, si elle ne paraît plus constituer le champ clos d’un immense conflit avec l’ours soviétique, n’en demeure pas moins une zone de turbulences que préfigurent les combats actuels de libération et d’autonomie, turbulences auxquelles la France ne peut rester insensible. Par ailleurs, nos possessions, départements et territoires d’outre-mer (Dom-Tom), nos alliances privilégiées de défense en Afrique, nos accords internationaux exigent de notre part une présence ou au moins une assistance pour lesquelles l’auteur imagine des formations originales telles que des « bataillons humanitaires », des « bataillons interarmes ».
Désormais, pour lui c’est le concept d’« intervention » qui s’impose, correspondant à notre rôle de « joker européen », qui joue avec des « pions intervenants » de la valeur d’une division. Ceux-ci se constituent selon de nouvelles tactiques adaptées à de nouveaux objectifs tels que les « théâtres d’opérations urbains ». Ces pions d’intervention ne peuvent être que professionnels, tant pour leur disponibilité que pour leur technicité. Est-ce donc sonner le glas de la conscription ? Non point, elle demeure toujours nécessaire, mais pour un nouvel objectif : celui de l’« intégration », sous la forme d’un service national universel à options militaire et civile. La coexistence d’un corps d’intervention professionnel et d’une conscription généralisée va paraître bien onéreuse, mais en matière de défense, il ne s’agit pas d’en être à « une guerre de retard ».
La justesse de l’observation, la qualité de la réflexion, l’agrément du style ne parviennent pas pour autant à dissimuler les difficultés de l’entreprise à l’auteur, qui ne manque ni de courage ni de lucidité. Il en aura besoin pour confronter son propos aux pesanteurs de la réalité. ♦