Le vieux maître de l’écologie
Livre surprenant, écrit par un ophtalmologiste, ancien combattant abondamment décoré, ceinture noire et ermite. Claude Durix (c’est ainsi qu’il se nomme) estime qu’on pleure dans les chaumières sur le destin des bébés phoques ou sur la minceur de la couche d’ozone, mais que, malgré quelques « essais touchants de retour à la nature », notre monde moderne ne réalise pas grand-chose de concret. Adepte de longue date du zen, acquis à sa philosophie par la fréquentation des sages extrême-orientaux, il prétend livrer des clés valables pour l’époque actuelle à partir de l’enseignement du maître Rinzaï. Le récit du parcours de ce moine de Chine du Nord, menant au IXe siècle une existence frugale au bord d’un gué, visité par curieux, touristes et toutes sortes de « chercheurs d’absolu », est vivant, voire amusant. En revanche, le discours relève, selon l’auteur lui-même, de la « haute voltige discursive » et ne comporte aucune « doctrine cohérente ni démarche rationnelle ». Ponctué bizarrement d’obscénités, comptabilisé en coups de bâton, il demande traduction. C’est à cette tâche que s’attelle Durix.
L’ésotérisme, les réponses inattendues et grotesques, sa façon de « sortir avec un air savant une banalité ou quelque ânerie », n’ont comme but, pour ce « premier théoricien de l’écologie », que de faire le vide, d’éliminer le matériel et le circonstanciel au profit de la méditation pure. Et de ce fatras, curieusement, surgissent quatre propositions d’allure cartésienne grand teint : selon un carré parfait, on peut sauvegarder l’homme en sacrifiant l’environnement ou vice-versa, on peut tuer les deux, on peut enfin (et c’est évidemment le but recherché) promouvoir et concilier les deux dans la plus douce des harmonies.
Après un récit darwiniste de l’évolution des espèces suivi d’une description pittoresque de l’anatomie humaine et de l’étude de la formation du monde, second élément de l’analyse, la plus grande partie de l’ouvrage est ainsi consacrée à l’examen systématique des différents cas de figure. Le choix de l’environnement seul, de cette nature, lieu de « générosité immense et de prodigalité », conduit à la situation de l’homme préhistorique, subissant toutes les contraintes et n’en imposant aucune. Il est facile d’y revenir, soit individuellement par l’autodestruction (la drogue), l’automutilation (certaines sectes) ou l’autopunition (le saut à l’élastique), soit collectivement en faisant appel à des industriels du massacre qui, de Gengis Khan à Hitler, furent de fervents amoureux de la nature. À l’inverse, l’effort exclusif sur l’homme, « monstrueux prédateur, dangereux gaspilleur et tyrannique exterminateur », au cri de delanda est planeta, donne l’occasion, au nom du prophète Cousteau et selon un cheminement que le lecteur suit mal, de diatribes contre la langue de bois, le byzantinisme et la désinformation. Détruire les deux, dans la voie du « nihilisme intégral », est, pour l’auteur, l’aboutissement inéluctable du développement de l’énergie nucléaire. Durix ressort alors des tiroirs Three Miles Island et expose en détail l’incroyable accumulation d’erreurs qui menèrent à la catastrophe de Tchernobyl. L’idéal est, à l’opposé, de se tourner vers l’exemple de l’agencement des fleurs, des pierres, de la lumière, des couleurs. Aux enseignants de « faire apprécier aux jeunes intelligences les merveilles qui les entourent », au lieu de professer des « cours d’éducation sexuelle réduits à la sphère génitale ». Ici réapparaît le vide, à la suite d’un raisonnement qui peut paraître au béotien tiré par « les cheveux blancs, longs et pendants comme des fils de soie », pour reprendre une formule chère au vieux maître ; non pas le vide « de l’absurdité, de la solitude, de la mort », mais celui où doit « s’engouffrer l’homme dans sa totale disponibilité ».
On aura compris qu’il serait vain de s’en tenir à la lettre du texte, de fouiller trop avant le sens des images et des paraboles. Il faut ne pas se contenter de « campagnes publicitaires infantiles » du style de la chasse au « gaspi », ni de peindre en vert les ambitions électorales ; il faut rechercher dans le passé les enseignements capables de « faire refleurir les arbres morts ». Le lecteur trouvera ici humour, poésie et matière à réflexion. ♦