On Future War
L’auteur de ce livre est professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem. Il a déjà écrit plusieurs ouvrages sur la guerre. Dans On Future War, il utilise abondamment l’histoire, mais il est parfois trahi par son érudition. C’est ainsi qu’il dote Henri IV d’une maîtresse qu’il appelle Gabrielle d’Esté alors qu’il s’agit certainement de Gabrielle d’Estrées. Il soutient que, pendant la dernière guerre, il n’y a eu que deux exemples où l’on ait cherché à tuer un grand chef, Rommel au désert, Eisenhower lors de l’offensive des Ardennes. C’est oublier Yamamoto dans le Pacifique, dont l’avion a été abattu.
Ces défauts mineurs mis à part, l’ouvrage ne manque pas d’intérêt quand on fait sortir du fatras historique un certain nombre d’idées qui méritent réflexion. Pour Martin van Creveld, l’analyse clausewitzienne repose sur des présuppositions qui ne sont plus valables. Pour Clausewitz, la guerre est une affaire entre États et ceux-ci sont une invention artificielle qui date des traités de Westphalie : il existe ainsi une sorte de trinité : l’État, le gouvernement, le peuple. Clausewitz a oublié d’étudier ce qui fait que les hommes se battent. La guerre peut être autre chose que la continuation de la politique par d’autres moyens, par exemple celle de la justice. Dans ce cas, on aboutit à la doctrine de la guerre juste de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin, au djihad de l’islam. Des guerres ne sont faites que pour la défense de la simple existence d’une communauté, ce que les deux dernières guerres mondiales sont rapidement devenues, comme le prouve l’exigence de reddition inconditionnelle de Roosevelt et de Churchill.
Van Creveld voit la stratégie d’abord comme création des forces armées d’une nation, d’après l’idée que cette dernière se fait de la guerre. Elle est ensuite conduite de la guerre quand celle-ci éclate. Pour lui, ses principes sont immuables parce que, quelle que soit l’échelle du conflit, il s’agit toujours de la confrontation de deux volontés, de deux intelligences, amenées tour à tour à concentrer et disperser leurs moyens. Le plus souple intellectuellement et matériellement est celui qui gagne. Notre auteur pose le problème de savoir ce que devient la guerre si les États ne peuvent plus la faire, comme c’est le cas actuellement. Celle-ci n’en subsiste pas moins sous la forme de « conflits de faible intensité ». On sait que ces derniers (les LIC) sont une des obsessions de l’armée de terre américaine, ce que ne dit pas van Creveld. Pour lui, ces LIC rendent inutiles les armements compliqués et les énormes appareils militaires actuels. Les industries d’armement vont se transformer. Les conventions qui ont jusqu’ici régi la guerre vont être profondément modifiées, les distinctions entre le civil et le militaire, entre l’homme et la femme, tendant à disparaître. Les conflits auront lieu entre tribus, entre ethnies ou entre groupes nationaux, d’abord dans le Tiers-Monde, mais aussi en Europe du Sud. Aux États-Unis, le crime organisé peut devenir un LIC. Finalement, la guerre peut trouver en elle-même sa justification, simplement parce que les hommes ont envie de se battre.
Nous n’avons relevé que les remarques les plus frappantes. Dans cet ouvrage difficile à lire, on en trouve bon nombre d’autres qui méritent attention, même si l’auteur est passé un peu vite sur certains points essentiels. Après tout, la traduction française de Vom Kriege par Denise Laville (Éditions de Minuit) tient 745 pages. ♦