Le Président et le champignon
La démonstration en est apportée : le « Sphinx » [NDLR 2020 : surnom de l’auteur] sait parler clair, et notamment traiter de dissuasion autrement qu’en hébreu. Sa langue est limpide et son style alerte ; il rend compte avec truculence d’un Conseil de défense imaginaire et ne dédaigne pas ironiser sur les manchots de Clipperton aux bras trop courts pour rejeter leur colonisateur. Le député européen d’aujourd’hui se souvient d’avoir porté l’uniforme et il a mille fois raison : si, pour une bonne politique, se préoccuper de défense est (ou devrait être) un devoir, le fait d’avoir servi comme chef d’état-major sous deux présidents garantit assurément un certain niveau de compétence. Il en résulte une double tonalité : le soldat claque des talons pour affirmer que « l’armée n’est qu’une exécutante silencieuse et dévouée », tandis que le parlementaire manie la critique. Il n’attaque pourtant pas le pouvoir actuel sur ce terrain, car il décèle, comme nombre d’autres auteurs, une continuité entre de Gaulle et Mitterrand. Cherchons ailleurs pour le second : « il y a mille autres points de sa politique qui sont critiquables ».
Que dit-on donc du côté de Gizeh ? Tout d’abord qu’il urge de réveiller une nation assoupie sur le mol oreiller du fameux « consensus ». Pourquoi se faire du souci à partir du moment où ne sont engagés dans les combats que des professionnels payés à cet effet et où la sécurité est assurée par la dissuasion nucléaire ? À l’ombre de cette « moderne ligne Maginot » et après avoir le temps d’une saison « montré leur fermeté par alliés interposés », les Français se bercent d’une « indépendance déclamatoire » qui nous permet de « bénéficier des avantages de l’Alliance atlantique sans en accepter les contraintes ». Comment sortir de cette léthargie ? En responsabilisant nos concitoyens par la procédure du référendum. En place de lois de programmation « insuffisantes dans leur esprit, bâclées dans leur préparation, enterrées dans leur exécution », il faut « passer un contrat entre les Français et leur défense ». Sous quelle forme ? Avec quel degré de précision ? À partir de quelles données techniques ? Les modalités de cet appel aux urnes ne sont pas précisées, ce qui fait indéniablement perdre de la crédibilité à la solution avancée. Mais celle-ci a le mérite d’exister. Tel nous a paru, à tort ou à raison, être le message essentiel. Tels sont en tout cas l’alpha et l’oméga de l’ouvrage.
En cours de route, le général procède à une analyse des facteurs. La dissuasion procurée par les arsenaux français et britannique, seuls à pouvoir à terme sanctuariser l’Europe, est à maintenir. Il faut étendre le parapluie à l’Allemagne et non menacer son territoire par un Hadès « déjà dépassé ». Les électeurs prennent-ils en compte, lors des élections présidentielles, le caractère résolu ou fluctuant de l’homme susceptible de déclencher le tir ? D’un sondage commandé par l’auteur, il résulte que seul Le Pen est jugé par une majorité de sondés capable d’appuyer sur le bouton. Il est inconvenant de nos jours de mettre en doute la valeur des sondages ; il reste que certains commentaires surprennent, mais si la Sofres et son « brillant directeur » le disent !…
Sur l’énumération des menaces, sur les solidarités qui nous lient en « cercles concentriques », sur les « paquets » de forces décrits à grands traits, pas d’innovation spectaculaire. On notera au fil des pages maintes prises de position intéressantes : un appel à la modestie quant à nos objectifs ; le refus net d’une réintégration dans l’Otan ; le souhait de « muscler » la Force d’action rapide (FAR), non en tant que composante des forces, mais de complément « dont il serait saugrenu de penser… qu’il peut boucher tous les trous » ; un raisonnement sur la « décolonisation vers le haut » des Dom-Tom (Départements et territoires d’outre-mer) destinée à leur faire gagner vingt ans pour rejoindre l’état actuel de l’Afrique (sans doute avons-nous mal compris ce passage ou résulte-t-il de ce propos du général – qui sait se limiter à l’essentiel – selon lequel « la France a eu la chance de réussir la décolonisation » ?). On relèvera également la revendication pour le budget de la défense de 4 % du PIBm, plus sage que les affirmations initiales avançant qu’il ne saurait exister aucun plafond financier en la matière.
La défense du territoire est prise ici au sérieux (ce qui ne s’était pas vu chez un grand chef depuis Gambetta) et amène à la relance de la formule séduisante « service court-garde nationale » qui, tout en institutionnalisant malheureusement l’armée à deux vitesses, tire les conséquences d’une conscription inégalitaire (mais pourquoi feindre d’ignorer que les 22 % d’exemptés – désignation plus orthodoxe que « réformés » – ne sont pas un signe de la « santé de notre jeunesse », mais la conséquence d’une simple décision administrative sur le seuil d’aptitude ?).
Jeannou Lacaze a pris le temps de faire court. Ce livre fait le tour d’une question qui occupe légitimement beaucoup d’esprits en ces temps troublés. Plus que les innombrables comités « Théodule » d’arrière-salle, l’ancien « généralissime désigné » avait voix au chapitre. Il doit être écouté. ♦