Défense et Sécurité européenne
L’ouvrage est composé de deux parties. La première, à dominante historique, compte deux gros chapitres ; la seconde, « consacrée à la problématique », quatre petits (voire minuscules) chapitres. Défense et Sécurité, deux mots à la mode, dont il faut attendre la page 125 pour trouver les définitions comparées qui font apparaître, fort judicieusement, « non une simple différence de degré, mais des différences de nature ».
L’analyse, poussée, permet d’utiles rappels, notamment à propos des « trois sortes d’Europe militaire » : l’Otan, où le poids des États-Unis est écrasant, malgré la naissance de quelques structures purement européennes comme l’« Eurogroup », et qui cherche à s’adapter à la nouvelle donne en prenant une tournure plus politique ; la Communauté européenne de défense (CED), dont les promoteurs avaient « trop présumé des dispositions nationales à l’abandon de la souveraineté » ; l’Union de l’Europe occidentale (UEO) enfin, à l’époque de sa naissance simple solution de remplacement bâtie sur des ruines, « organisation potiche et faire-valoir de l’Otan ». Relevons également au passage, dans l’exposé du cadre institutionnel, la description allant de l’antique Finabel, au bilan « plus que modeste », jusqu’au récent GEIP (Groupe européen indépendant de programmes) qui peut s’enorgueillir du lancement d’Euclid, « sorte d’Eurêka militaire ».
Selon l’auteur, le constat d’ensemble est décevant, si on ne se contente pas d’une poignée de stanags. Par exemple, la coopération en matière d’armement a bien produit des résultats non négligeables, mais pas une seule « réalisation véritablement emblématique » ; elle ne s’est pas écartée des systèmes de la défense nationale et n’a cessé d’appliquer le principe de « juste retour… forme de protectionnisme ». Quant à l’« édifice de la Brigade franco-allemande [BFA], il s’élève au milieu d’un désert ». Heureusement, derrière cet arbre du Ténéré, subsiste l’UEO rajeunie. À 7 lustres de distance, la « Belle au bois dormant » de 1954 progresse maintenant « à pas de géant » ; encore que les motifs du réveil, exposés pages 60 à 62, ne paraissent pas tous très convaincants. En quoi peut intervenir « le progrès des technologies de pointe » ?
Dans la nouvelle ère qui s’ouvre, c’est de l’Est, jusqu’alors monolithique et glacé, que vient la voix du changement, « alors que dans le même temps, le camp occidental est perçu comme le champion du statu quo ». La défense européenne doit désormais se concevoir hors du contexte de guerre froide, à partir de données nouvelles : les « règles du jeu » définies au sein de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), un « processus de désarmement significatif », le retrait au moins partiel des forces américaines, l’État « surdimensionné » que représente l’Allemagne réunifiée au moment même où le renouveau des nationalités préfigure d’éventuelles balkanisations…
Pour Henri Pac, le préalable politique n’est pas un passage obligé. Où l’on retrouve le dilemme de l’œuf et de la poule… « Il y a antériorité logique de l’unité de défense sur l’unité politique » affirme l’auteur, car « elle est la condition indispensable de l’ajustement de l’Europe en une collectivité politique dotée d’une souveraineté unique », position originale confirmée plus loin : « paradoxalement… la mise en place d’un système défensif commun paraît pouvoir précéder l’unification politique ».
Au niveau de l’application, il faut d’abord opérer des choix : Europe européenne, atlantique ou mondiale ; défense conventionnelle ou nucléaire ; formule supranationale ou supraétatique. Il convient aussi de progresser rapidement dans les « voies juridiques », de passer par les pactes de défense qui « placent devant le fait accompli » plutôt que par la « méthode constituante », plus démocratique mais lente, afin de parvenir aux réalisations concrètes, en particulier constituer en Centre-Europe « un noyau armé de forces multinationales ».
Critique constructive, propositions logiques accompagnées de prises de position nettes, l’apport est de qualité. Nous regretterons toutefois, étant donné la vocation de l’ouvrage, qu’à côté de considérations claires et pertinentes comme les caractéristiques de la coopération (pages 42 à 44) ou la confrontation des doctrines de riposte, graduée ou massive (page 111), certains passages échappent à notre entendement de français moyen. Que « toute genèse fédérale se présente comme une totalisation des composantes structurales qui en tissent la méthodologie », passe encore, mais avec « la substantialisation d’un processus synthétique et synergique aux interactions structurantes qui tisse un réseau praxique en perpétuelle potentialité », nous voici « largué », comme on dit vulgairement, et lorsque 60 pages plus loin, on retrouve exactement la même phrase, au mot près d’« actualisation » remplaçant « potentialité », ces termes galants ont de quoi, malgré les affirmations d’un avant-propos rassurant, pousser le lecteur au désespoir. Un peu moins d’ésotérisme dans l’expression rendrait une pensée vigoureuse plus accessible au « vaste public » qui est visé et améliorerait la valeur pédagogique d’un livre par ailleurs solidement documenté et structuré. ♦