L’humanité dans l’imaginaire des nations
Le professeur René-Jean Dupuy est un de nos grands spécialistes du droit international. Ayant eu une brillante carrière universitaire qui l’a amené jusqu’au Collège de France, il a exercé de nombreuses fonctions dans divers organismes français ou internationaux, en particulier comme secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye pendant vingt ans. Il a également été expert à l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). Il a consacré plusieurs ouvrages au droit de la mer, dont un Traité du nouveau droit de la mer (Économica) et L’océan partagé (Pedone).
Le titre du présent ouvrage peut laisser perplexe, mais, dès son introduction, l’auteur nous explique que la vision de l’humanité réconciliée est un mythe très ancien. Il exprime le sentiment d’une appartenance forcée et la conscience d’un destin commun. Dans l’esprit des hommes, il y a le sens d’une double appartenance à une nation et à l’humanité. Celle-ci s’impose « comme un ensemble à gérer, comme une exigence de projet. C’est une communauté à construire. Ce qui suppose des institutions qui mettent en forme des principes métajuridiques qu’elle suscite dans les consciences ».
Dans une première partie (« Rêve »), le professeur Dupuy retrace la naissance de ce mythe à travers l’histoire. La paix ne suffit pas par elle-même à assurer la justice. D’autres messages se font entendre : développement, droits de l’homme. Un messianisme du bonheur se trouve dans la croissance indéfinie du savoir et du pouvoir. Le savant cherche maintenant la dimension philosophique de ses découvertes.
Dans une deuxième partie, il est montré comment les nations ont progressivement intégré la « référence » à l’humanité par bien des illusions. Le succès de l’ONU est dû à la diplomatie, qui n’incarne pas le mythe de la cité harmonieuse. La paix par l’adieu aux armes est une autre illusion, mais la dissuasion a assuré la stabilité des rapports de force. Le Tiers-Monde est devenu une mythologie simplificatrice. On se trouve devant une difficulté majeure : comment les nations peuvent-elles affirmer leur personnalité tout en restant ouvertes aux autres ? Une certaine forme de « laïcité » doit s’imposer. La pensée occidentale ne doit pas être confondue avec la pensée universelle, mais les notions de droit naturel, de patrimoine commun de l’humanité, sont de vieilles idées chrétiennes et l’on a besoin d’un minimum de concepts communs.
Dans une troisième partie (« Avènement »), le professeur Dupuy décrit ce qui existe actuellement. Les nations se voient maintenant dans une échelle planétaire ; l’humanité apparaît comme une entité, un ensemble fait d’éléments disparates et complémentaires. Il est né un droit humanitaire grâce à des organisations non gouvernementales : il tend à se confondre avec les droits de l’homme. L’homme en détresse n’est plus une victime isolée. La notion de patrimoine commun de l’humanité devient une valeur mystique ; les générations présentes ne sont que des gestionnaires et sont comptables de leur gestion devant les générations futures.
In fine, le professeur Dupuy tend à rejeter l’idée d’État mondial, mais pense qu’une solution fédérale peut être préparée par de nombreuses instances de réflexion d’ordre éthique. La violence ne sera pas éliminée et risque de survivre à la disparition des États. Immanence et transcendance sont complémentaires. Le concept d’humanité avance non sans peine, il reste ouvert sur l’inconnu.
Ce rapide survol de ce petit livre ne permet que d’esquisser ce qui apparaît à un lecteur non spécialiste du droit international. En fait, dans cet ouvrage très dense, chaque phrase soulève un monde de réflexions, même si on ne partage pas tous les points de vue de l’auteur. ♦